De passage au Burkina Faso, le directeur régional pour l’Afrique de l’Ouest de la Société financière internationale (SFI) Olivier Buyoya a bien voulu nous accorder une interview, dans laquelle il revient, entre autres, sur les missions de la SFI, ses défis, ses opportunités, ses investissements au Sahel et particulièrement au Burkina Faso, mais aussi sur les stratégies adoptées sur le terrain pour faire face à la situation sécuritaire. Selon lui, la pauvreté est l’une des raisons majeures des différentes crises et les millions d’emplois nécessaires pour notre développement seront créés par le secteur privé. Lisez plutôt !
Lefaso.net : La SFI a été créée en 1956. On la décrit comme une entité sœur, faisant partie du groupe de la Banque mondiale. Pouvez-vous revenir sur la mission de cette institution ?
Olivier Buyoya : La Société financière internationale (SFI) est une des entités du groupe de la Banque mondiale qui a reçu comme mandat de travailler à accompagner le développement des secteurs privés dans les pays où elle intervient. Comme nous faisons partie du groupe de la Banque mondiale, nous avons les mêmes actionnaires. Je parle là de l’ensemble des États membres du groupe de la Banque mondiale. Nous avons le même président, en la personne d’Ajay Banga, les mêmes objectifs et les mêmes missions. Et aujourd’hui, la mission du groupe de la Banque mondiale se résume en ces mots : faire en sorte qu’on puisse éradiquer l’extrême pauvreté dans les pays où nous intervenons et créer une prospérité partagée sur une planète sur laquelle on peut tous vivre.
Voilà le triptyque qui constitue la mission du groupe de la Banque mondiale. Ainsi, chaque institution travaille sur son champ d’intervention à pouvoir atteindre la mission. Nos collègues de la Banque mondiale sont plutôt sur le créneau d’appuyer le développement de nos pays, dans l’objectif d’éradiquer l’extrême pauvreté et de faire la prospérité partagée au travers des interventions auprès du secteur public dans son ensemble. Nous, nous travaillons dans les pays où nous sommes essentiellement par le biais du secteur privé.
Quels sont les défis et les opportunités de la SFI ?
Notre mission, comme elle a été définie, consiste à travailler de sorte à réduire la pauvreté dans nos pays. Du coup, le premier défi, c’est la démographie. Nous avons aujourd’hui une croissance rapide de la population, une urbanisation grandissante et surtout une composition de cette population assez unique dans le monde. Nos pays en Afrique sont les pays où nous avons le plus de jeunes qui arrivent sur le marché du travail. Le défi essentiel face à cette augmentation de la population et de l’urbanisation, c’est faire en sorte de trouver des emplois décents à nos jeunes. À partir de là, lorsqu’on déroule les conditions qu’il faudrait pour créer ces emplois, on découle sur plusieurs défis spécifiques. On note, entre autres, les défis liés à l’accès à l’énergie, à l’éducation adaptée aux besoins du marché du travail, au bien-être de la population, à la santé, etc.
En outre, nous sommes dans le Sahel, plus précisément au Burkina Faso. Il y a des défis conjoncturels et spécifiques, mais aussi des défis sécuritaires. La région dans laquelle nous sommes est vulnérable, car traversée par des conflits. Le défi sécuritaire est peut-être ce dont on sait le plus du Sahel aujourd’hui. Et on ne parle de secteur privé, de création d’emplois, sans la sécurité. C’est un peu comme le corps humain sans la santé. On ne peut pas faire grand-chose. Nous avons aussi le défi climatique. Aujourd’hui, ce sont les inondations. Demain, la sécheresse. Et ces défis liés au changement climatique percutent et amplifient les autres défis dont nous avons parlé.
Le tableau ne serait pas complet si on ne parlait que des défis. Il y a des opportunités. Et il y a des défis qu’on peut convertir en opportunités. J’ai parlé plus haut de la démographie. Dans d’autres pays, on a parlé de dividendes démographiques. C’est-à-dire que si on arrive à éduquer nos jeunes, si on arrive à autonomiser nos femmes, si on arrive à créer des infrastructures qui permettent à ce que les entreprises, le secteur privé, puissent créer des emplois, on pourra transformer les défis en opportunités. Avoir une population jeune est un atout majeur. On le voit dans les pays un peu plus avancés qui n’ont pas cette chance d’avoir une population jeune. D’ailleurs, ces pays ont prospéré parce qu’à un moment donné, ils ont tiré profit de leur dividende démographique. Il y a, dans les pays du Sahel, dans les pays de la région, des ressources naturelles. Il y a un potentiel agricole. Ce sont autant d’atouts qu’on peut valoriser, qu’on doit valoriser. Et c’est là où les interventions du groupe de la Banque mondiale en support au secteur public pour la Banque mondiale et en support au secteur privé avec la SFI, essayent au quotidien de relever ces défis pour les convertir en opportunités.
Comment se matérialisent ces actions sur le terrain ? Est-ce en créant des centres de santé, par exemple, ou en offrant des financements pour que les institutions avec lesquelles vous travaillez se chargent d’en disposer selon les besoins ?
C’est une excellente question qui m’amène peut-être à aussi clarifier les différences qui existent entre les entités du groupe de la Banque mondiale et leurs domaines d’intervention. Vous avez parlé de concours financiers, de dons, d’assistance faits aux entités gouvernementales. Effectivement, la Banque mondiale, à travers ces interventions ici au Burkina Faso et dans la région, y contribue fortement. Au Burkina Faso, le portefeuille de la Banque mondiale s’élève à plusieurs milliards de dollars, ventilé sur plusieurs domaines d’intervention : l’éducation, la santé, l’agriculture, etc. Nous, nous ne finançons et n’accompagnons pas les structures publiques ou les structures étatiques. Notre domaine d’intervention nous amène à identifier des partenaires du secteur privé, ce que nous appelons les clients, autrement dit, les entreprises du secteur privé. C’est au travers de ces institutions-là que nous déployons nos solutions de financement, mais aussi au travers d’assistances techniques qui interviennent dans les mêmes secteurs. Les groupes Coris Bank, Vista, Bank of Africa, Ecobank sont nos clients. Nous leur donnons de l’argent et de l’assistance technique avec comme objectif qu’ils puissent prêter ces fonds-là à un certain nombre de leurs clients dans les secteurs d’intervention.
Nous accompagnons aussi les entreprises du secteur privé dans l’énergie. À titre d’exemple, nous avons financé la centrale solaire de Ziniaré qui produit 27 mégawatts, avec un projet d’extension de 10 mégawatts dans les mois à venir. Nous avons financé la société Sodigaz, qui est le leader au Burkina Faso pour la distribution des gaz, gaz de cuisson, entre autres. Nous avons, dans le passé, financé des entreprises comme la Sofitex, une entreprise para-étatique. Aujourd’hui, nous avons un portefeuille grandissant. Nous faisons à peu près 400 millions de dollars d’investissement par an au Burkina Faso. Et nous avons l’ambition, de doubler même cette enveloppe, dans certains secteurs comme la santé. Aujourd’hui, nous avons identifié un certain nombre de cliniques privées qui complètent ce que font les hôpitaux publics dans les soins de la santé. Dernièrement, nous avons participé à la réouverture de l’hôtel Azalaï de Ouagadougou, qui comporte 270 chambres, si je ne m’abuse, et qui va contribuer à la création de 500 emplois directs et indirects. Nous cherchons donc à contribuer à la création d’emplois dans l’objectif de réduire la pauvreté et de créer notre prospérité.
On retient de vos explications la possibilité de passer par les banques ou autres institutions privées pour atteindre directement ceux qui ont besoin d’investissements. Quels sont les critères déterminants pour bénéficier directement de vos investissements ?
Je vous remercie pour la question, parce que c’est un des reproches qui nous est, parfois, fait à juste titre, parfois à tort, nous reprochant des critères de sélection et d’investissement qui sont exigeants. Avant de parler de ces critères-là, permettez-moi de faire deux ou trois précisions. La première, c’est que nous avons la responsabilité de nous assurer que les fonds qui sont investis puissent servir à l’objectif qui leur est assigné.
Ensuite, nous avons aussi comme objectif, intérêt à ce que nous puissions financer le secteur privé qui adhère à certains principes, surtout des principes de bonne gouvernance, des principes de gestion. Cela pour que demain, les bailleurs de fonds et les autres investisseurs puissent dire : dans ce pays-là, les investissements que la SFI a faits sont bons.
Et pour répondre à votre question, le premier critère sur lequel nous nous basons, c’est la probité, la moralité des entreprises et des entrepreneurs que nous finançons. Ensuite, c’est l’adéquation entre le besoin de financement et la capacité de remboursement et de gestion de l’entreprise. Nous avons des critères aussi concernant le respect de certaines normes environnementales et sociales. J’insiste sur le mot « social ». Par exemple, il est très important que nous nous assurions que, quand nous investissons dans une entreprise, cette entreprise soit aux normes, au niveau de la réglementation sociale, en terme de traitement des employés, par exemple. Et nos équipes ont pour tâche d’aller identifier dans le secteur privé local, les entreprises qui peuvent contribuer à nos objectifs, mais aussi qui remplissent ces critères.
On peut penser que ce sont des critères très exigeants, mais ce sont des critères qui font bon sens. Si je vous demande si vous êtes d’accord que la SFI investisse l’argent qui vous appartient dans une entreprise déficitaire qui va perdre de l’argent, vous allez forcément me dire que ce ne serait pas une bonne idée. Ce sera pareil pour une entreprise ou des entrepreneurs qui ont une réputation qui n’est pas acceptable en termes de moralité et d’intégrité.
Voilà un peu les critères qu’on regarde. J’insiste surtout sur l’accompagnement que nous accordons aux entreprises que nous avons identifiées, quand elles ne remplissent pas ces critères. Ce n’est pas parce qu’il n’y a pas une adéquation entre les besoins de financement et la capacité de remboursement aujourd’hui, que nous dirons à l’entreprise qu’on ne va pas la financer. C’est ce qui fait d’ailleurs que cet accompagnement prend parfois un peu de temps. C’est aussi cela qui suscite parfois la critique selon laquelle nos procédures sont longues. Mais en réalité, on travaille à accompagner un certain nombre de ces entreprises. C’est la réponse à votre question, et je vous inviterai à la poser en retour à certains de nos clients. Ils vous diront aujourd’hui que peut-être ça a été long, mais que finalement, ça a été bénéfique, je l’espère.
Au-delà du financement qui est octroyé aux différentes institutions privées, que propose d’autre la SFI ?
Nous marchons sur deux jambes. Il y a le volet financement, mais aussi le volet assistance technique. Qu’est-ce que cela veut dire concrètement ? Quand une entreprise X vient nous voir en disant qu’elle veut un financement, mais qu’en discutant avec elle, on se rend compte qu’au niveau de sa direction financière, les états financiers ne sont pas à jour, nous avons la capacité de l’accompagner pour refaire l’état financier. Cela lui permet de pouvoir présenter une image fidèle à l’activité de l’entreprise. Ensuite, en ambitionnant par exemple la création d’un projet de logement de 2 000-3 000 unités, nous avons la capacité d’accompagner l’entreprise pour qu’elle puisse mûrir son projet et le financer dans le domaine des infrastructures. Souvent, les clients nous disent qu’ils ont un projet très innovant pour les centrales solaires, mais nous nous rendons compte qu’ils n’ont pas fait les études d’impact social et environnemental du projet. Nous avons la capacité de les accompagner à faire ce travail. Ça, c’est à titre individuel.
Cependant, nous travaillons aussi avec les organisations patronales. Nous venons de signer, par exemple, un accord de partenariat avec le patronat pour accompagner la faîtière sur les aspects de comptabilité financière, de gestion financière des entreprises ; aider les membres de l’association à pouvoir se préparer à avoir ces discussions avec la SFI, mais aussi, avec d’autres partenaires financiers.
Le Burkina Faso traverse une crise sécuritaire depuis environ une décennie. Des sommes importantes d’argent sont injectées dans ce pays, mais aussi dans le Sahel, pris de façon générale. Est-ce que les financements dans ces parties de l’Afrique sont difficiles ?
Je vous remercie d’évoquer la situation difficile au Sahel, particulièrement au Burkina. Mais en réalité, quand on regarde le monde d’aujourd’hui, beaucoup de pays traversent des situations similaires. Nous avons pris le pari d’augmenter significativement nos activités, notre présence locale, justement pour pouvoir être plus près du secteur privé du Burkina, dans ces moments difficiles.
Et pourquoi ?
C’est simple. La mission du gouvernement de la Banque mondiale et donc de la SFI est de réduire la pauvreté en créant une prospérité partagée. Nous sommes convaincus, et toutes les études que nous avons faites avec nos collègues de la Banque mondiale le prouvent : la pauvreté est une des causes des crises qui traversent nos pays. Nous sommes convaincus que les emplois dans nos pays ont besoin de la jeunesse, au lieu que cette jeunesse soit victime et aussi parfois acteur de ces conflits. Nous sommes convaincus que les milliers et les millions d’emplois nécessaires pour notre développement vont être créés par le secteur privé. Donc, par déduction logique, en tant qu’institution de développement, nous avons pris sur nous le pari d’augmenter ou d’essayer en tout cas d’augmenter fortement nos investissements dans nos pays.
Pour revenir à votre question, nous faisons avec la situation, tout en identifiant les acteurs du secteur privé local avec qui nous pourrons réaliser ces objectifs. Au cours des cinq dernières années, nous avons déployé jusqu’à 1,2 milliard de dollars, correspondant aux années où la crise sécuritaire est la plus forte. Juste vous montrer qu’en termes de montée en puissance, la crise ne nous a pas empêché de le faire, au contraire.
Ensuite, quand il y a des situations de crise, il y a certains investisseurs, certains acteurs du secteur privé, qui freinent ou restreignent leurs investissements pour des raisons de risque. Mais il y en a d’autres qui investissent : le secteur privé local. C’est pour cela que nous avons développé des programmes et des solutions pour être auprès de ces gens-là. Ce n’est facile ni pour eux, ni pour ceux qui les financent. Mais c’est indispensable pour nos pays.
Toujours en lien avec vos investissements, est-ce que la SFI a revu des stratégies innovantes de sorte à s’adapter aux réalités du terrain ?
D’abord, nous essayons d’approcher ces problématiques-là avec une dose de modestie et d’humilité. Je crois qu’il n’y a pas à dire qu’il y a des solutions miracles. Ce serait induire nos partenaires et nos mandats en erreur. Par contre, nous avons des solutions qui ont été éprouvées ailleurs. La première chose que nous nous devons de faire, c’est d’être présent sur place, en force, avec des collaborateurs de qualité qui comprennent le contexte local. Nous avons développé et incorporé les leçons que nous avons apprises ici, au Burkina, et ailleurs, à travers l’identification des clients, la célérité dans le traitement des dossiers, l’accompagnement au-delà du financement.
Ensuite, aujourd’hui, nous croyons fortement que la technologie va être une source ou un moyen pour pouvoir accélérer un certain nombre de solutions que nous avons. De nos jours, nous voyons comment la technologie a accéléré l’agenda de l’inclusion financière. Nous voyons aujourd’hui se développer des solutions sur des plateformes technologiques, qui permettent de pouvoir accéder aux soins médicaux, les distribuer et gérer un certain nombre de risques, qui existaient avant, sur des plateformes technologiques. Nous investissons massivement au travers des partenariats de la SFI dans des plateformes technologiques, des startups, etc. Nous investissons avec nos collègues de la Banque mondiale dans la création des écosystèmes qui permettent aux startups et aux jeunes entrepreneurs de développer des solutions adaptées pour le pays. Et maintenant, nous allons pouvoir déployer ces solutions au travers des plateformes qui existent au niveau de la SFI. Voilà un exemple concret de ce que nous essayons de faire au Sahel, plus précisément au Burkina Faso, et d’utiliser la force créatrice de la jeunesse pour pouvoir résoudre ce problème de développement.
Y a-t-il un mécanisme de contrôle qui vous permet d’évaluer les projets et programmes pour vous assurer que les investissements sont rentables ?
Non seulement on s’autoévalue, mais on est évalué aussi par nos mandats. Tous les projets de la SFI et de la Banque mondiale doivent être approuvés par le conseil d’administration de la Banque mondiale. Chaque projet inclut des indicateurs de performance. Et à la fin de chaque projet, un processus est enclenché pour évaluer l’impact du projet par rapport aux indicateurs de performance établis. Et cela se fait de manière indépendante et par des équipes indépendantes.
Interview réalisée par Erwan Compaoré
Lefaso.net
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