Actualité

L’inculturation, une perspective à la domination culturelle des religions : Un fidèle chrétien écrit au président de la conférence épiscopale Burkina-Niger

Ceci est une lettre ouverte de Guésiwendé Joseph Beogo, un fidèle chrétien, adressée le 20 janvier 2021 au président de la conférence épiscopale Burkina-Niger. L’inculturation est le principal sujet abordé dans l’écrit. « Père Evêque…impulsez une réflexion profonde, avec courage et intégrité sur l’inculturation malgré le confort que ressent dans l’état actuel des choses, la majorité des chrétiens y compris des pasteurs » plaide l’auteur de la lettre.

Excellence Père Evêque, Président de la conférence épiscopale Burkina-Niger,

En 2007, notre professeur de religion du petit séminaire saint Augustin de Baskouré (Koupèla), nous a parlé de l’inculturation. Après des années d’observation de l’évolution des choses, de nos pratiques religieuses et de nos attitudes face à ce qui vient de l’occident, j’ai fini par comprendre la portée de la nécessité de l’inculturation qu’avait signalée mon enseignant de religion. Il s’agit vraiment d’un problème de vie ou de mort pour l’Eglise, disait un pape. Mais il s’agit également d’une question de vie ou de mort pour l’Afrique. C’est pourquoi, je me suis intéressé à elle et décidé de m’y investir.

Ainsi le 1er juillet 2019, j’ai publié sur le réseau social Facebook (compte du nom de BEOGO Gieswenne) ceci : « Le mimétisme est également une cause de l’échec du développement humain de l’Afrique. Il le sera aussi du déclin de sa spiritualité. Nous devons repenser nécessairement l’inculturation. »

A la suite de cela et dans le sens de la décolonisation des mentalités par l’inculturation ou l’appropriation à la culture, j’ai rappelé que l’homme noir était inscrit partout à travers l’histoire de l’humanité avec le message suivant en date du 14 décembre 2019.

« On peut lire dans la Bible (de Jérusalem) que Abraham avant d’avoir une progéniture, avait fui avec sa femme Saraï (ou Sara) en Egypte afin d’échapper à la famine. Il retourna ensuite dans son pays, lui et son frère Lot, avec de grands biens acquis en Egypte (Lire Gn 12,10-20. 13).

Jacob (appelé aussi Israël) a fait de même avec toute sa famille, toujours à cause de la famine. Son fils Joseph, vendu par ses propres frères, a été fait ministre, substitut du pharaon (Lire Gn 41, 53-57. 42,1-5). Ils y ont séjourné jusqu’à devenir une nation et soumise plus tard à l’esclavage.

Jésus, quant à lui, y a été amené par ses parents, Joseph et Marie, afin cette fois-ci d’échapper à la mort (lire Mt 2, 13-22).

Pythagore et Thalès ont acquis leur savoir en Egypte.



Garder à l’esprit le secret de polichinelle, perturbateur de nombre d’esprits à savoir, l’Egypte pharaonique était noir, permettra de mieux comprendre l’absurdité pour un Noir de se sentir mal à l’aise ou inférieur à cause de la couleur de sa peau. Il n’y a qu’une seule race humaine. Et la couleur de peau n’est nullement un critère d’infériorité ou de supériorité.

Je suis Africain et fier de ma peau de mélanine.

Afrique mon Burkina. »

Le 19 mars 2020, je vous adressais une correspondance dont les termes sont ceux de la présente avec ampliation à son Eminence Philippe Cardinal OUEDRAOGO. J’ai reçu les accusés de réception datées du 18 avril et du 10 avril 2020 (pour l’ampliation). Cependant, le silence général et absolu fut la réponse à ladite correspondance plus de neuf mois après sa réception.

Je viens par la présente, Excellence, appeler de nouveau à la renaissance de l’inculturation et dire comme aime le dire son Eminence Philippe Cardinal OUEDRAOGO, allons au large, allons en eau profonde. D’ors et déjà, des efforts en la matière existent. En liturgie nous avons des messes dans les langues locales et utilisons des instruments traditionnels à la place ou en plus de l’orgue. Cependant nous pouvons sur la question de l’inculturation faire mieux.

A cet effet, je prends un exemple sur les prénoms que nous portons ou donnons à nos enfants. L’exemple est assez simple et l’inculturation aurait due, à mon avis, être amorcée depuis belle lurette. Cela aurait pu déjà contribuer à libérer les mentalités et à décomplexer plus d’un.

Les prénoms traduisent une identité culturelle. Ils sont porteurs de réalités, de messages, de programme… Ils ont toujours des significations. Dans la Bible les prénoms ont des sens. Ismaël vient de l’hébreu Ishma’el : « Que Dieu entende » ou « Dieu entend », Gn 16, 11, note h ; Jacob ou Israël vient de l’hébreu Yaʻaqob-El, « Que Dieu protège, Gn 25,26, note f ; Joseph vient de l’hébreu yôsephyâh, « Que Iavhé (Dieu) ajoute » Pour en savoir plus : nominis.cef.fr ou Magicmaman.com).

Ce qui est dit dessus relativement à la signification des prénoms vaut également pour le Coran mais ne l’ayant pas encore lu, je ne peux faire référence aux sourates.

Certains prénoms des livres saints ont été transcrits en français (Joseph-Jacob, David…), en anglais (Joe-Peter-John), en arabe (Yussuf, Yacouba, Daouda), en portugais, espagnole, russe… également puisqu’il existe un calendrier espagnol, portugais, russe… des saints. En mooré nous avons les transcriptions suivantes : Zozef, Pier, Zan, Zakob. Cependant vous ne verrez pas sur les documents d’identification des Burkinabè, des prénoms tels que transcrits dans les langues nationales (Mooré par exemple). C’est toujours Joseph, Jean, Jacob, Alphonse… quelle que soit la langue ou l’ethnie. Cela parce que la langue officielle du Burkina Faso est la langue française, celle de « nos ancêtres les Gaulois ».

La question de la langue officielle appelle à faire un détour sur celle de la valorisation de nos langues nationales qui se meurent. Que dirais-je au bon Dieu si je meurs sans pouvoir m’exprimer par écrit en Yaana, mooré ou toute autre langue nationale ? La question est peut-être absurde, mais je me la suis déjà posée. La représentation nationale est à ce titre principalement interpellée. En effet, l’article 35 de notre Constitution de juin 1991 prévoit que « La langue officielle est le français. La loi fixe les modalités de promotion et d’officialisation des langues nationales. » Quant à l’article 101, il dispose que « La loi détermine les principes fondamentaux…de l’intégration des valeurs culturelles nationales ».

A cet effet, il y a lieu de saluer l’adoption récente de la loi n°033-2019/AN portant loi d’orientation sur les modalités de promotion et d’officialisation des langues nationales au Burkina Faso en date du 23 mai 2019, et appeler l’exécutif à sa mise en œuvre effective. Dans bien d’autres domaines, l’intégration des valeurs culturelles peut être plus poussée notamment en matière de lois sur les personnes et la famille. L’article 35 du Code des personnes et de la famille (CPF) dispose : « Il est interdit aux officiers de l’état civil de recevoir ou de donner des noms ou prénoms autres que ceux consacrés par les usages, la tradition et la religion, sous peine des sanctions prévues au code pénal. »

Cette disposition peut être revisitée en étendant l’interdiction aux prénoms autres que ceux consacrés par la langue française (la langue officielle), la religion selon leurs transcriptions dans la langue officielle et la tradition. Pour mieux percevoir l’intérêt, il faudrait garder à l’esprit que de nos jours, les prénoms de films occidentaux notamment les télénovelas sont entrés dans nos habitudes. En raffinant l’interdiction, l’on permettra aux juges de statuer sans beaucoup de controverses sur les demandes de changement de prénoms à eux déférées. Il y a également le cas plus sérieux du système de dévolution des noms patronymiques.

Le code a sacrifié littéralement les systèmes de dévolution propres à certains groupes ethniques (Gourounsi, Lobi, Dagara) en généralisant le système patrilinéaire. Cela n’aurait pas dû être fait par respect pour cette culture et au nom de l’intégration des valeurs culturelles nationales surtout qu’a été consacrée dans la même loi l’obligation de respecter le droit étranger (droit internationale privé) au nom du respect de la diversité des droits. Une diversité du même genre existe au plan interne : les droits coutumiers des différentes ethnies.

Ce qui vient d’être dit, Excellence, ne concerne pas directement le clergé. Mais il n’est pas exclu que vous ayez des occasions de vous adresser à la représentation nationale plus ou moins indirectement, puisque figurent parmi ses membres des fidèles catholiques. Il ne sera pas superfétatoire de rappeler qu’il est inutile de copier des lois d’ailleurs sans les adapter à nos réalités, des lois qui parfois même ont évolué si elles ne sont abandonnées dans les contrées dans lesquelles elles ont été adoptées, au moment où l’on en fait une innovation au Burkina Faso parce que simplement nouvelles dans notre pays.



Revenant à la question des prénoms, Excellence, les transcriptions mooré Zozef, Zan, Zakob par exemple ne signifient absolument rien dans les différentes langues ou à la limite ont d’autres significations que j’ignore mais qui ne sont pas à coup sûr celles que leur donne l’hébreu. Il en est de même de Moussa, Boukaré (Boukari, Boukary), Fatimata (Fati, Fatmata, Fatimatou) Adjaratou (Adjarata, Adjiratou, Aguirata, Aguiratou), etc. qui sont des prénoms arabes transcrits en français. Lorsque l’on demandera à un linguiste de les transcrire dans une langue nationale, il donnera d’autres écritures.

Ces prénoms n’ont de sens qu’en arabe ou auront un sens différent en langues nationales. Une anecdote à ce propos. Au cours de l’année 2018, un prénommé Boukaré a saisi un tribunal civil du Burkina afin d’être autorisé à substituer « Boukaré » sur son acte de naissance par « Abu Bakr ». Le prénom figurant sur son acte de naissance ne voulant rien dire, avait-il expliqué. Il ajoutait qu’il avait découvert cette erreur après des études sur le Coran. Vous remarquerez que même « Abu Bakr » est une transcription française au regard de l’alphabet arabe.

Vous remarquerez également Excellence, que les Africains en particulier et ceux du tiers monde en général portent des prénoms d’origine française, anglaise, espagnole, portugaise, russe, arabe, parfois inspirés de prénoms de feuilletons (Joseph, François, Vincent, Bryan, Yann, John, Gloria, Enrico, Angelina, Dimitri, Mamadou, Yacouba, Daouda…) avec toutes les combinaisons possibles. Les Chinois sont à nos portes !

Un Africain non complexé, un burkimbi, doit pouvoir accepter les prénoms de la Bible ou du Coran tels que transcrits dans sa langue maternelle et non dans une langue étrangère. Mieux, il doit pouvoir porter des prénoms purement africains. Chez les Mossé, les Yaana et les Zaocé les personnes prénommées Bila, Fifou, Gnota, Gaane, Korog, Tanga, Tanbila, Tanpure, Wend-kuun, Raogo, Poko… doivent pouvoir se convertir à l’islam ou être baptisés sans obligation de substituer ou adjoindre des prénoms abusivement qualifiés de prénoms musulmans ou chrétiens.

En ce qui concerne les prénoms chez les chrétiens je dirai ceci. Chrétien veut dire appartenir au Christ. Si moi Raogo, je ne peux pas appartenir au Christ, Raogo Célestin non plus. Dieu ou Allah s’attacherait-il plus à mon prénom qu’à mon intégrité, ma pureté intérieure, ma résolution d’être son serviteur, mon profond désir de lui appartenir ? Le prénom ‘‘Raogo » est-il contraire à l’Evangile ? D’où vient-il donc que des prénoms d’origine française (calendrier français des saints : François, Thérèse, Christophe…), espagnole (calendrier espagnol des saints : Guadalupe, Pompeyo, Lucrecia, Piedad, Esteban…) allemande (calendrier allemand des saints : Gottfied, Willehad, Allerseelen, Wolfgang/hard…) soient chrétiens ? Je ne vous apprends pas que Raogo est l’équivalent Mooré de André c’est-à-dire « homme viril ».

L’appellation courante « Prénoms chrétiens » -j’ose croire qu’elle n’est pas mensonge-est une confusion langagière. Il s’agit rigoureusement parlant, de prénoms de saints. Ainsi, toute obligation si sournoise soit-elle de port de prénoms sus mentionnés (dits musulmans ou chrétiens) devient une farce à mon sens, une forme de domination culturelle, de colonisation des mentalités. Il nous faut impérativement savoir distinguer dans la religion ce qui relève du divin et ce qui est simplement culturel afin de l’ajuster convenablement à notre propre culture. Il nous faut nous échiner à distinguer ce qui est universalisable de ce qui ne l’est pas car tout ne peut pas être universelle.

C’est cela aussi l’inculturation. A défaut, je le crois fermement, nous n’adorerons pas Dieu ou Allah en vérité. S’il nous a donné une manière propre d’être et de penser, cela signifie que c’est une bonne manière, bien que différente. La Bible ne dit-elle pas que Dieu vit que tout ce qu’il avait créé était bon ? Si nous laissons, consciemment, ce que nous sommes pour être ce que les autres sont, nous ne serons jamais eux ni nous-mêmes d’ailleurs. Nous nous dépigmentons, décapant la peau de notre culture. Nous pratiquons l’euthanasie par abstention, laissant mourir ce que Dieu à inscrit dans nos gènes de spécifique et qui comme susdit est bon. Nous pratiquons l’eugénisme estimant que notre culture ne vaut pas la peine d’être perpétuée. Plus simplement, nous disons à Dieu : Tu nous as mal créés, nous ne voulons pas de cette culture que tu nous as donnée. Nous répondrons de cela devant Lui. Oui ! parce que ce ne sera pas la seule faute du colonisateur.

Excellence, « Si la foi est mal vécue, n’est-ce pas parce que mal reçue ? » interrogeait Son Eminence Philippe Cardinal OUEDRAOGO dans son message du 24 novembre 2019 à l’occasion du 4e Congrès sur la miséricorde divine. A mon humble avis, la foi doit être également dépouillée de toute domination culturelle. Je ne préconise pas le syncrétisme. Loin de là ! Néanmoins, la perception que j’ai de l’évolution du monde me fait partager entièrement l’idée d’une église africaine qui aurait été déjà défendue par son Eminence Paul Cardinal ZOUNGRANA.

Excellence, les prémices d’une inculturation réussie existent déjà. Le clergé regorge de ressources intellectuelles nécessaires pour mener une réflexion fructueuse sur la question. Des ébauches éparses existent déjà pour avoir discuté avec certains clercs et lu certains mémoires de théologie. Ce qu’il faut c’est une impulsion.

Par ailleurs, je note au passage qu’il revient actuellement sur beaucoup de lèvres le rôle de l’Eglise dans l’esclavage et dans la colonisation. Faire silence ou stagner sur la question de l’inculturation aujourd’hui ne fera que nourrir le sentiment que l’Eglise est complice et au pire acteur du néocolonialisme. Ce qui est sans doute de nature à entamer la foi de nombres de chrétiens qui s’attachent déjà plus à la « foi théorique » comme il est ressorti du Congrès susmentionné, qu’au Message, qu’à l’imitation du Christ.

Cela dit, je plaide afin que vous, Père Evêque Président de la conférence épiscopale Burkina-Niger, avec les archevêques et évêques de ladite conférence, impulsiez une réflexion profonde, avec courage et intégrité sur l’inculturation malgré le confort que ressent dans l’état actuel des choses, la majorité des chrétiens y compris des pasteurs. C’est un leurre que cette satisfaction. Le terrain de l’inculturation semble sinon est vierge. Je pense beaucoup à la liturgie eucharistique. Osons nous reconstruire, nous régénérer, être nous-mêmes car ce n’est ni plus ni moins de cela qu’il s’agit. Osons « …vivre africain. C’est la seule façon de vivre libre et de vivre digne », foi de Noël Isidore Thomas SANKARA. Faisons silence, quittons les bruits du monde et faisons violence sur nous-mêmes. Sur ce dernier point, sans être exégète, je pense que ce passage de la Bible est éloquent : « Depuis les jours de Jean le Baptiste, le Royaume des Cieux souffre de violence et des violents s’en emparent » (cf. Mathieu 11, 12).

Excellence, les responsables des communautés religieuses et les chefs coutumiers ont un cadre de réflexion commun. Du moins, ils se sont déjà, à maintes reprises, assis sur une même table, ont parlé d’une même voix sur des questions socio-politiques de notre pays et interpellé les dirigeants politiques. L’inculturation est une question qui offre une occasion de rendre un tel cadre permanent. Elle concerne en effet, toutes les religions y compris celle traditionnelle et tous les domaines de la vie. Elle a besoin d’un cadre juridique pour son essor. Elle est donc transversale et nécessite une synergie d’action entre le religieux, le coutumier et le politique. Synergie dont vous avez, Excellence, la capacité et les moyens de mise en œuvre.

Tout en vous remerciant pour l’intérêt que vous accorderez à cet appel, recevez Père Evêque, l’expression de mes sentiments filiaux.

BEOGO Guésiwendé Joseph
Fidèle chrétien

Ce que je sais. Ce que je crois (M sen mi, la m sen teeda).

Téléphone : (00226) 719 456 55

Courriel : gjobeogo@gmail.com

Comments

comments

Articles similaires

Bouton retour en haut de la page