Avoir une voiture et rester immature
Moi je pensais béatement et bêtement d’ailleurs que quand on est capable d’avoir sa propre voiture et de rouler dans les artères de la capitale, on est à même de s’élever un peu plus au-dessus de la moyenne du bon sens, de la bienveillance et de la bienséance. Mais il ne suffit pas d’avoir une voiture pour échapper à ses propres turpitudes. Il ne suffit pas d’être tiré à quatre épingles pour être à l’abri de la bêtise. Un automobiliste qui, du haut de sa rutilante 4×4 ou V8, baisse sa vitre teintée et sort sa caboche pour cracher en pleine circulation ; un crachat qui éclabousse tout derrière lui.
Mais on s’en fout ! Un autre qui se mouche à trompette déployée dans un mouchoir, balance sa déjection infecte par la fenêtre et éclabousse tout un boulevard par ces temps de COVID-19 qui courent. Et ces enfants gâtés qui, en pleine circulation se lavent les mains par la fenêtre de la voiture de maman, pour manger leur friandise et jeter à quelques centaines de mètres plus loin le sachet ou le papier qui a servi d’emballage.
Oublions le ventriloque à la cravate mal attachée qui rumine et mâche la bouche pleine en grommelant et en ricanant au téléphone, pendant que les usagers cherchent vainement un passage pour avancer. Ne parlons pas de ces moches dames conquêtes qui se maquillent en trottinant sur la voie de dépassement à une allure de caméléon. Ce sont les mêmes qui vont marquer l’arrêt au bord de la voie publique pour acheter des gâteaux ou des galettes sans prendre la peine de descendre de leur monture de luxe.
Vous pouvez Klaxonner et invectiver, c’est votre problème ! Cela ne les émeut pas. Gare à vous, si vous égratigner un seul rebord de leur voiture de luxe ; elles sortiront vous déverser leur arrogance nauséabonde avant d’appeler le commissaire pour un constat qui n’en vaut pas la peine. Quand ces « intouchables mortels » vous cognent, ils descendront scruter d’abord les contours de leur voiture avant d’appeler leur compagnie d’assurance, sans même daigner vous regarder au sol, sans même vous aider à vous relever. Et ce ne sont pas des étrangers, mais des Burkinabè qui se comportent ainsi dans nos rues de l’intégrité.
L’incivisme sur nos voies publiques est devenu un syndrome national. Les cyclistes ne sont pas les seules brebis galeuses de nos rues. Pour le propriétaire de V8, le cycliste n’est qu’une fourmi, une vermine à écraser, parce que gênant et énervant. Certains vous klaxonneront comme pour vous dire de disparaître de leur vue et de leur vie. Et il y a ceux qui feront la vitesse de l’ivresse comme sur les pistes de compétition en Formule 1.
Même quand l’agent de police les arrête pour infraction, ils récusent le coup de sifflet, intimident ou menacent ouvertement l’homme en tenue qui fait bien son travail. Il y en a qui appelleront directement la hiérarchie du policier pour se plaindre et demander réparation. Et ils seront immédiatement libérés par le même policier sur ordre de la même hiérarchie. Ils repartiront sous la barbe du policier « fautif » et frustré qui a osé siffler sur un homme fort du pays.
Peu importe l’infraction, tant pis s’il y a eu casse ou même mort d’homme, un « gourou » en infraction s’en sort toujours indemne des mailles de la police et même parfois de la Justice. Parce que tous les Burkinabè ont des droits mais certains en ont plus que d’autres et il y a ceux-là qui n’ont aucun devoir vis-à-vis des autres et à l’égard de nos institutions. On a beau clamer que nous sommes en République, mais c’est utopique ; on a beau prôner l’égalité et la justice, il suffit de regarder dans nos rues pour se rendre compte que dans les faits, on n’a pas les mêmes droits selon que l’on roule en V8 ou en bicyclette ou pire, selon que l’on est piéton.
Pour s’en rendre compte, il suffit de vouloir traverser à pied une avenue en marchant sur la bande blanche marquée au sol et réservée au piéton ; on vous écrasera sur la même bande blanche, parce que chez nous au Faso le piéton est un gênant larron, un suicidaire usager prioritaire, oublié ou relayé sur le bas-côté de nos routes. Sous d’autres cieux plus radieux, on marquera un arrêt pour laisser traverser un peloton de canetons et de canards boîteux. Là-bas, le feu tricolore est un dispositif sacré que l’on honore et le piéton n’est pas un « mouton » qu’on écrase.
Là-bas, être en voiture ce n’est pas une fin en soi ; ce n’est pas un signe de supériorité mais une banalité qui relève de la nécessité. Finalement, il ne suffit pas de rouler en voiture ; il faut savoir mener sa vie à une allure raisonnable. Il ne suffit pas d’être au volant d’une V8 pour paraître plus important, il faut savoir se conduire soi-même dans la société. Parce que tout comme dans la voiture, dans la vie, il y a aussi un frein et un embrayage et une vitesse. A chacun sa pédale préférée, mais le meilleur levier reste la modération ou la pondération. Dommage que certains mènent leur vie comme s’active une boîte automatique. C’est pathétique ! On peut avoir une voiture et rester immature.
Clément ZONGO
clmentzongo@yahoo.fr
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