Burkina / CDP : Les langues se délient pour expliquer les dessous de la crise qui déchire le parti
La seule chose dont on peut être aujourd’hui persuadé, c’est qu’il y a crise au sein du CDP, précisément au niveau de son secrétariat national chargé de la mobilisation des jeunes. Ce qui rend difficile la fin du mandat du président sortant, Eddie Komboïgo. Le samedi 16 octobre 2021, la crise s’est une fois de plus manifestée alors que se tenait une session du Bureau exécutif national au siège national du parti, transformé pour la circonstance en un « semi-camp » d’éléments de la CRS (Compagnie républicaine de sécurité).
Chaude matinée au siège du Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP), où se tenait une session du Bureau exécutif national (BEN). Pendant que les travaux s’y déroulaient, deux groupes de jeunes du parti se retranchent. L’un dans un hôtel situé dans les encablures, parmi lequel Adama Tiendrébéogo, secrétaire chargé de la mobilisation des jeunes du parti, et Abdoul Karim Bagagnan, quatrième secrétaire chargé de la mobilisation des jeunes. Tous sont membres du BEN du CDP. Un deuxième groupe est installé, lui, dans un bistrot. Chacun défend sa position. Aux alentours du siège, des éléments de la CRS viellent, déviant les usagers de l’avenue Kwamé-N’krumah de la bretelle nord vers le sud.
Cette crise est aussi, faut-il le relever, un rebondissement de celle du 23 septembre 2021 où deux jeunes, Mohamed Younga, troisième secrétaire chargé de la mobilisation des jeunes, et Modeste Ouédraogo, premier secrétaire chargé de la mobilisation des jeunes, tous deux réputés plus proches du président du parti, Eddie Komboïgo, se sont opposés à ce qu’Adama Tiendrébéogo lise la déclaration de la conférence de presse qui était programmée pour se prononcer sur la situation nationale.
Mohamed Younga et Modeste Ouédraogo, au présidium de la conférence, estimaient alors que le président du parti a envoyé une autre déclaration et que c’est cette dernière qui devait être lue. Adama Tiendrébéogo et son groupe s’y opposent, estimant que la déclaration envoyée « à la dernière minute » par le président Eddie Komboïgo n’est pas celle-là qui a été validée par le secrétariat national à la jeunesse. La conférence va se poursuivre sans Mohamed Younga et Modeste Ouédraogo, et après un moment de cafouillage, avant d’être interrompue par la police pendant la phase des questions. Les conférenciers se plaignent de cet ordre donné par le président du parti de les « expulser » du siège du parti et de prendre ainsi clairement position pour les deux, pointés comme des « lèche-bottes ».
Selon les informations reçues, la rencontre du samedi 16 octobre 2021 devait plancher entre autres, sur cette crise, notamment le rapport d’audition des protagonistes par la Commission de contrôle et de vérification, et le prochain congrès du parti (selon les textes, le congrès de renouvellement doit se tenir cette année 2021). Pour Adama Tiendrébéogo et compagnie, c’est d’ailleurs par peur de perdre la direction du parti au congrès à venir qu’Eddie Komboïgo est à la manœuvre pour sanctionner des membres du BEN et faire en sorte que le temps de sanction englobe la période du congrès.
« Il a essayé d’imposer au président de la commission contrôle de nous sanctionner, coûte que coûte. Le président de la commission de contrôle et de vérification, Hamed Yago, qu’il a envoyé en remplacement de Gaston Soubeiga, pensant pouvoir le manipuler, a refusé d’aller dans le sens qu’il (Eddie Komboïgo) a dicté. Devant moi, Hamed Yago lui a dit qu’il faut qu’il se remette en cause, que si chaque fois les gens lui reprochent des choses, il faut que lui aussi se remette en cause. Ce qui fait mal à Eddie Komboïgo, c’est qu’il n’arrive pas à nous contrôler. Tout ce que nous faisons, c’est avec nos propres moyens, et c’est ce qu’il n’aime pas. Même s’il décide de nous sanctionner, nous allons l’attaquer en justice. L’enjeu, c’est le congrès. Il a même demandé au président de la commission de nous suspendre pour au moins trois mois, le temps que le congrès passe », ont-ils expliqué, pendant que se poursuivaient les travaux du BEN à l’intérieur du siège.
« Trop de démissions au sein du parti »
Adama Tiendrébéogo et son groupe reprochent au président de leur parti, une gestion chaotique, ayant poussé à de nombreuses démissions. « Nous ne pouvons pas mener avec toi (Eddie Komboïgo, ndlr) tous les combats, nous exposer à tous les risques, et aujourd’hui quand on veut parler, tu dis qu’on ne parle plus de Blaise (Compaoré), que Blaise Compaoré, c’est fini. S’il a les moyens, qu’il s’assume en créant son parti ou en rejoignant le MPP. Ça fait mal. Regardez la souffrance que nous avons endurée dans le parti, le risque que nous avons couru et les coups que nous avons pris. Pendant ce temps, toi tu es complice du pouvoir. (…). Hormis ce qui se raconte par les militants eux-mêmes, j’invite tout observateur neutre à regarder ce qui se passe au CDP. Quand vous prenez le BEN, il y a 33 démissions. (…). Le BEN qui se tient en ce moment n’a pas le quorum requis, car en plus des 33 démissions, il y a trois décès et des absents. Sur onze vice-présidents, seul un est présent, deux sont absents. Ils sont aujourd’hui 35 membres à tenir le BEN. C’est donc une session illégale, selon les textes. Eddie (Komboïgo) est tout sauf un homme politique. Ceux qui sont aujourd’hui les inconditionnels d’Eddie Komboïgo sont nos adjoints (Mohamed Younga et Modeste Ouédraogo) qu’on connaît bien, qui ne peuvent pas s’affranchir, qui ne peuvent pas réfléchir par eux-mêmes. Le plan d’Eddie Komboïgo est simple : il a ses marchés à travers les mines, on sait comment ça se passe. Il est dans un grand « deal » d’affaire avec Roch (Kaboré). Il sait qu’il ne peut pas être président du Faso, il est conscient aussi qu’il a déjà fait miroiter à tout le monde qu’il a de l’argent. Il a l’argent-là, dites-nous, d’où provient cet argent ? C’est quelle affaire il gère ? Ce sont les affaires de l’État. Et les affaires de l’État, on peut décider de lui retirer ça et dès lors, c’est la faillite. Qu’il sache que nous savons tout. Nous qui sommes ici, au départ, nous avons tous soutenu Eddie Komboïgo, mais on s’est tous rendu compte que c’était une erreur. Eddie Komboïgo a utilisé le nom de Blaise Compaoré pour se positionner, parce qu’il sait qu’en disant le nom de Blaise Compaoré, il a tout le monde avec lui », enfoncent Adama Tiendrébéogo et compagnie.
« On souhaite que le congrès se déroule dans une atmosphère qui va permettre au parti de se retrouver. Le parti ne se retrouve pas, depuis six ans qu’Eddie Komboïgo est là », tempèrent-ils.
Mais en attendant, ces jeunes militants annoncent qu’ils entreprendront, dès ce lundi 18 octobre 2021, des démarches auprès des institutions compétentes pour faire une marche qui va les conduire au siège national du parti et au Chef de file de l’opposition politique au Burkina Faso (CFOP-BF) pour demander la démission d’Eddie Komboïgo. Ils prévoient également d’intenter une action en justice contre Eddie Komboïgo, s’il venait à les sanctionner contre les règles du parti (la sanction n’était pas encore tombée, quand nous recueillions ces propos).
« Des envoyés de personnes tapies dans l’ombre »
Pour leur part, Madi Ganemtoré et ses camarades voient en ces derniers, des agitateurs en mission. « Sur plus de 360 communes que compte le pays, pourquoi ce sont seulement les jeunes de Ouagadougou qui créent ces agitations ? Ces jeunes-là sont une branche de Mahamadi Kouanda. Mahamadi Kouanda avait dit que même si tout le monde démissionnait du CDP, le seul qui resterait serait lui. Il en est de même pour Jérôme Bougma. Mais ce sont eux qui ont démissionné du CDP. Blaise Compaoré a géré le pays pendant 27 ans et Eddie Komboïgo n’a jamais été ministre. Pourquoi aujourd’hui c’est lui qui gère le parti ? C’est à cause de son courage. Il est allé en prison pour cela. Nous suivions ces jeunes (Adama Tiendrébéogo et compagnie). Mathias Ouédraogo était président d’une commission ad hoc, mais on s’est rendu compte qu’il ne cherche que son intérêt. Ils ont pris l’argent, je ne sais avec qui, pour venir semer ce désordre ici. Ces jeunes-là ne sont pas du CDP, ce sont des délinquants qui sont dans la ville en train de semer la violence. Moi, je ne suis pas de la famille d’Eddie Komboïgo, je suis du CDP », rétorque M. Ganemtoré.
« On dit qu’Eddie Komboïgo est allé au dépôt de gerbes du 34e anniversaire de l’assassinat de Thomas Sankara et de ses douze compagnons. Je me demande s’ils sont dans ce pays. Le monument des héros nationaux (à Ouaga 2000), il a été construit par qui ? Par Blaise Compaoré. Quel a été le premier nom qu’il a porté ? Monument Thomas Sankara. C’est de l’histoire et c’est un fait. C’est dire que Blaise Compaoré même n’a pas renié la valeur de Thomas Sankara. Eddie Komboïgo est allé au dépôt de gerbes en tant que Chef de file de l’opposition, une institution de la République, pas en tant que président du CDP. Nous sommes en période de réconciliation nationale, que chacun mette de l’eau dans son vin. La jeunesse du CDP n’est pas divisée, ce sont eux qui sont égarés », poursuit Madi Ganemtoré.
Pour Abdoul Razak Niampa, membre du Bureau politique national du CDP, « il y a deux éléments du groupe (protagonistes) qui étaient allés voir Eddie Komboïgo, de les nommer chargés de mission au Chef de file de l’opposition politique au Burkina Faso (CFOP-BF). Il a dit que le CFOP-BF n’est pas un seul parti et que pour le faire, il faut voir tous les chefs de parti politique au CFOP-BF. Nous, jeunesse, devons être responsables. Parmi eux, il y en a qui avaient abandonné le parti pour aller attraper une autre queue, ils ont vu que ce n’est pas la bonne, ils sont revenus de façon violente. Je lance un appel à toute la jeunesse politique burkinabè, parce que ce qui se vit chez nous peut se vivre dans un autre parti politique, à réagir de façon intelligente, c’est-à-dire ne pas se laisser embarquer par ceux qui prônent leurs propres intérêts. (…). Blaise Compaoré, c’est un père. À un congrès, Eddie Komboïgo l’a élevé au rang de président-fondateur, président d’honneur à vie du CDP. Le retour de Blaise Compaoré dépendra de nous, jeunes, de notre comportement. Il est grand temps que ceux qui se sont rebellés reviennent à la raison pour respecter les statuts et règlement intérieur du parti. Mahamadi Kouanda avait dit qu’il part, mais qu’il laisse des gens pour porter le message. C’est aujourd’hui nous avons su cela. S’il y a quelqu’un qui doit remplacer Eddie Komboïgo, que ce soit par un congrès, de façon démocratique, comme l’indique le nom du parti : la démocratie ».
Que dit le rapport de la commission de contrôle ?
Tandis que certains voient en cette situation, la volonté de « camarades » de mettre en difficulté Eddie Komboïgo, d’autres pensent que ce dernier est véritablement le problème du CDP. « C’est lui qui est à la base de toutes les crises. Sincèrement, il ne peut pas gérer le parti. Tout le monde ne mange pas entre ses mains, qu’il le sache. Banaliser la démission d’un camarade comme Luc Adolphe Tiao, et la saignée à travers le pays, c’est suffisamment grave de la part d’un président de parti », soulève un membre du BEN, qui affirme en outre que le président du parti ne veut pas se soumettre au rapport de la commission de contrôle et de vérification. « Il tient coûte que coûte à ce qu’on sanctionne Adama Tiendrébéogo et son groupe, alors que les fautifs, ce sont Mohamed Younga et Modeste Ouédraogo », affirme-t-il.
Parlant d’ailleurs du rapport, on peut y lire : « La commission reproche aux camarades Modeste Ouédraogo et Mohamed Younga d’être les premiers à agresser publiquement en retirant et en déchirant les déclarations de mains du camarade Adama Tiendrébéogo. Ils auraient dû simplement se retirer du présidium pour marquer leur désaccord, quitte à saisir la Commission nationale de contrôle et de vérification. Quant au camarade Adama Tiendrébéogo, de n’avoir pas anticipé sur l’organisation pour assurer la cohésion au sein du secrétariat chargé de la mobilisation des jeunes. Ce qui a conduit aux dérives que nous constatons. Par ailleurs, le président du parti aurait dû éviter de mettre à la disposition du 1er responsable du secrétariat chargé de la mobilisation des jeunes, son document amendé à la dernière minute ».
O.L
Lefaso.net