Burkina : Le président essaie de reprendre la main face aux mouvements de contestation
Depuis l’attaque d’un détachement de gendarmes à Inata le 14 novembre 2021 qui a fait 53 morts la tension est forte et elle se ressent dans tout le pays. Des manifestations spontanées se sont déroulées au lendemain ce énième massacre de nos soldats aggravé celui-là par l’abandon des gendarmes, sans vivres et relève. La coupe a débordé.
Le ciel politique du pays des hommes intègres est constellé d’astres sombres et vengeurs qui réclament la démission du président et proposent des marches pour conjurer le massacre. Durant ces deux semaines de braise le front intérieur était chaud et les groupes terroristes ont continué les attaques à Thiou et Foulbé.
Le président a sonné une charge nocturne ce 25 novembre 2021 pour reprendre la main au plan intérieur pour pouvoir répliquer aux ennemis de l’extérieur.
Son allocution radiotélévisée s’adresse aux manifestants du samedi 27 novembre 2021 qui veulent sauver le pays. C’est bien et c’est patriotique mais on ne voit pas comment la destitution du président nous préserve de cette guerre. Avec la tête du président Roch Marc Christian Kaboré qui roule à terre si les mécontents l’obtiennent, combien de terroristes auront déposé les armes et quels territoires du pays reconquis ?
Comparaison n’est pas raison mais le président Roch M.C. Kaboré a fait beaucoup de changements à la tête de l’armée mais qui n’ont pas apporté la solution. Est-ce en changeant d’échelle, en passant des chefs d’état-major et ministres à président que la solution viendra ? Est-ce vraiment un problème d’hommes ? N’est-ce pas des défaillances structurelles ?
On peut se rassembler en foules mécontentes qui crient et grondent dans toutes les villes du pays, mais à part nos frustrations que nous exprimons que faisons-nous contre cet ennemi qui pourra surgir dans un autre coin du pays et frapper des soldats, des gendarmes, des policiers, des civils, des femmes et des enfants ? Ne nous laissons pas habiter seulement par la colère et la haine, cherchons à trouver des solutions créatives qui nous aiderons à résister contre nos ennemis. Après avoir pleuré les morts trouvons la sérénité de réfléchir sur les maux qui minent notre pays en ne surestimant pas le rôle du pouvoir politique. Les moyens de recouvrer la souveraineté de notre pays et son indépendance nous incombent tous.
Gouverner un pays en colère et qui doute de vos capacités
Ne réfléchissons pas comme certains politiciens et membres d’OSC qui pensent que toute crise doit emmener à une transition et sera pour eux l’occasion d’obtenir des strapontins. Comment faire baisser le mercure du thermomètre social en cette période hautement inflammable que vit le pays ?
Le pouvoir de Roch Marc Christian vit des moments difficiles, le pays vit très mal cette crise sécuritaire intensément meurtrière. A cette ignominie de l’abandon des gendarmes d’Inata à la faim et au massacre est venue s’ajouter la crise du convoi militaire français bloqué à cause de la douleur et de l’émoi de l’attaque d’Inata.
Gouverner un pays en colère et qui doute de vos capacités est le summum du supplice. A part les inconscients et les fous, personne ne se réjouit de cette mauvaise passe dans laquelle le pays se trouve.
Le gouvernement a cherché à calmer le front intérieur de diverses manières. Des programmes de communication prévues avant Inata sont devenus obsolètes et la diffusion rapportée comme ce passage radiotélévisé des ministres « sécuritocrates » du gouvernement.
Le sens de l’urgence et de l’essentiel est sûrement la cause du report du Conseil des ministres d’un jour.
L’Assemblée nationale a voulu entendre le gouvernement à chaud sur les questions sécuritaires, elle a dû accepter de patienter jusqu’au vendredi 26 novembre 2021. Ces reports montrent que le président et sa majorité travaillent sans doute avec les sapeurs-pompiers de la nation, les chefs religieux et coutumiers qui sont au-devant de toutes les crises du pays.
Le parti au pouvoir travaille aussi avec ce que l’on peut appeler la plèbe des organisations politiques et de la société civile pour les désolidariser de la marche du 27 novembre 2021. Et l’on a constaté que certaines ont commencé à s’en démarquer. Un autre moyen utilisé pour calmer le front intérieur, l’interruption de l’internet mobile. Ceux qui réclamaient l’Etat de siège ont ainsi un avant-goût de ce que cela peut être.
Le chef de l’Etat veut remobiliser la nation
Le chef de l’Etat s’est adressé à la nation dans la nuit du 25 au 26 novembre 2021 brisant le silence radio et la communication minimale qui avait cours jusque-là.
Il a annoncé des mesures sur un gouvernement resserré et plus soudé qui va, selon son importance, contribuer à réduire le train de vie de l’Etat. Une opération mains propres pour vider les dossiers pendants de corruption emmènera s’il est vraiment fait, du baume au cœur des hommes intègres de l’administration et de la jeunesse pour croire en la justice de notre pays.
Là aussi ce sont les actes et les faits qui pourront aider le gouvernement à reconquérir les déçus de sa gouvernance.
La mesure phare concernant la guerre est l’envoi des chefs militaires sur le terrain. Il ne faudrait pas que ce départ de Ouagadougou des gradés consiste à aller s’installer dans les chefs-lieux de région et à ne pas suivre les troupes au combat.
Le président du Faso a du pain sur la planche pour terminer son dernier mandat. Dès la publication du rapport d’enquête sur le drame d’Inata il faudra sévir, car il avait tendance à bannir ce mot de son vocabulaire. Et après, il doit poursuivre avec les autres mesures en ne se préoccupant pas des mécontents parce que c’est l’existence du pays qui est en cause.
Il ne devrait pas se hâter lentement comme à son habitude pour son gouvernement resserré. Si ce discours est fondateur d’une nouvelle pratique de gouvernance incarnée dans les trois mesures de réduction du train de vie de l’État, de lutte contre la corruption et de l’engagement des chefs militaires sur le terrain, il aura sonné le début de la résistance.
Sana Guy
Lefaso.net