Ecole nationale d’administration et de magistrature : Des réformes pour en faire une référence sous-régionale
Nommé en mars 2018 à la tête de l’Ecole nationale d’administration et de magistrature (ENAM), Awalou Ouédraogo fait, à travers cet entretien, le bilan des réformes qu’il a engagées, après trois ans de mise en œuvre. Inspiré du modèle anglo-saxon et guidé par une vision de faire de l’ENAM une école de formation de référence dans la sous-région, Awalou Ouédraogo, professeur associé de Droit à l’Université de York au Canada, a bien voulu nous accorder cette interview. Il revient sur les grandes réformes qu’il a entreprises : refonte des curricula, intégration de la formation militaire pour tous les énarques et constructions de nouvelles infrastructures. Le Directeur général juge le bilan globalement satisfaisant et dit se convaincre que l’avenir du Burkina Faso dépendra de la qualité des cadres qui sortiront de l’ENAM.
L’Infoh24 : Vous êtes à la tête de l’ENAM depuis mars 2018. Vous êtes venu avec une vision de faire de l’ENAM, une école de formation de référence dans la sous-région. Pouvez-vous revenir sur l’ensemble des réformes que vous avez engagées ?
Awalou Ouédraogo : Nous voudrions vous remercier pour cet entretien. Car, cela permet de faire le point sur les grandes idées que nous avons développées en prenant la tête de l’Ecole nationale d’administration et de magistrature (ENAM). Et vous-vous souvenez qu’en avril déjà, notre ministre (NDLR : de la Fonction publique, du Travail et de la Protection sociale) a introduit un document en Conseil des ministres pour expliquer grosso modo au gouvernement ce que nous voudrions faire de cette école. La vision était de faire de l’ENAM, un centre d’excellence et d’innovation. C’est ça la vision. Et pas seulement au Burkina Faso, mais également dans la sous-région en matière de formation professionnelle des agents de l’Etat et des agents publics, en général. Une fois que vous avez une vision claire de l’avenir, il faut maintenant mettre en place des actions stratégiques pour atteindre cela. Les éléments essentiels tournent autour de trois dimensions. La première, c’est la refondation totale des curricula ; parce que pendant trop longtemps, les filières, les cours ont été démultipliés sans une structure claire au sein même de chaque module. Nous avons donc ramené le modèle anglophone qui consiste à ce que j’appelle la formation expérientielle. Et c’est ça l’idée centrale qui va structurer toutes les actions de l’ENAM. Revenir à la formation expérientielle voudrait dire que tous ceux qui entrent à l’ENAM viendront pour apprendre un métier. Ils sortent de l’ENAM en ayant une expertise, et ils sont immédiatement employables au sein de l’Administration pour mieux servir l’Etat. La formation expérientielle a des implications dans la structure des modules. Nous avons intégré le « mapping system » qui est un modèle qui permet d’organiser les modules de telle sorte que chaque cours donne une compétence pour prendre un autre cours qui donne une autre compétence. Et l’ensemble de ces cours contribue à l’objectif général du programme. C’est ce qui est mis en œuvre depuis septembre 2018. Nous avons totalement remis à plat l’ensemble des offres de formation. Certains cours n’étaient pas essentiels pour certaines filières. Je vous donne un exemple avec la filière secrétaire. L’élève secrétaire venait au cours, et on lui donnait 80 heures de Droit constitutionnel en première année, 80 heures de cours de Droit constitutionnel en deuxième année. C’est une absurdité incroyable ! Je pense qu’une secrétaire n’avait pas besoin de savoir comment modifier une Constitution ou faire un coup d’Etat. Je pense fondamentalement que ce modèle anglophone-là réduit le volume horaire. Aucun cours ne doit dépasser 48 heures maximum. Et là, pour atteindre le volume horaire de 48 heures, il faut que ce soit un cours de spécialisation. On ramène les cours à 24 heures ou à 36 heures, et l’essentiel de la formation va se trouver sur le terrain. Nous avons supprimé le stage qui était d’un mois en août, autrement dit, en vacances, c’est devenu 4 mois dans l’Administration, sanctionné par un rapport de stage. Si vous ne validez pas votre rapport de stage, vous êtes exclu de l’ENAM. Il faut donc du sérieux et de la rigueur dans ce que nous faisons. Ça, c’est le premier volet académique, pédagogique, du curriculum, des programmes, des outils pédagogiques.
La seconde dimension, c’est que pour servir ce pays, il faut non seulement être un expert, avoir de la compétence, mais il faut être un bon citoyen, parce que nous (NDLR : les fonctionnaires) avons l’avantage, le privilège de servir l’Etat. C’est un devoir, c’est un privilège que de servir. On ne vient pas dans la fonction publique pour être riche. Autrement dit, il faut aller dans le privé ou ouvrir sa boîte. On vient parce qu’on a pris l’engagement de servir toute la communauté. Il faudrait que dans le lieu de travail, on sente que vous avez des valeurs qui permettent en chaque fonctionnaire de voir la majesté de l’Etat, parce que l’Etat a une envergure. Un énarque doit être distinctif par rapport à sa façon d’être, par rapport à sa façon de se comporter en communauté. Il faut intégrer les valeurs essentielles de ce pays. C’est pour cela que nous avons décidé d’emmener tout le monde au Groupement d’instruction des forces armées (GIFA) pour faire une formation militaire de 45 jours afin de réapprendre le vivre ensemble, réapprendre les vraies valeurs de ce pays pour permettre à chaque fonctionnaire d’être au service de son pays. Et en même temps créer le lien, des passerelles entre les agents publics et l’administration militaire. Quand nous avons proposé cela, les gens croyaient que c’était une vue de l’esprit. Aujourd’hui, tout le monde voit la pertinence, il faut une relation entre les acteurs : les civils et les militaires. Les énarques vont chez les militaires pour apprendre les b-a-b-a, et l’autre volet, c’est que les militaires viennent à l’ENAM pour apprendre l’Administration. C’est pour cela que nous avons eu des conventions avec l’académie militaire Georges Namoano pour envoyer tous les officiers se former à l’ENAM pour comprendre la science administrative ; donc les relations dialectiques entre l’ENAM et les institutions militaires.
La troisième dimension de nos réformes porte sur les infrastructures. Evidemment, qui dit l’excellence, dit infrastructures. Quand vous entrez à l’ENAM, vous n’avez pas l’impression qu’elle a été la première école de formation de la sous-région (NDLR : l’ENAM a vu le jour en 1959). Et quand vous regardez le seul bâtiment qui était solide, c’est le bâtiment du colon, et ce n’était pas normal. Vous voyez, je n’en veux pas à l’Etat, mais je pense que nous n’avons pas compris que le sort de notre pays se joue à l’ENAM. Vous savez, si vous avez des fonctionnaires, c’est-à-dire ceux qui tiennent notre Administration, qui sont mal formés, imaginez ce qu’ils commettront, parce que sans administration, il n’y a pas d’Etat. Il faut fondamentalement se pencher sur ceux-là mêmes qui travaillent dans l’Administration. Le budget àlouer à l’ENAM est très maigre. Il n’y a pas grand-chose. Mais je comprends, puisque notre Etat est pauvre. Donc, j’ai intégré le modèle anglophone qui consiste à faire venir le privé. Je suis actuellement professeur associé à York, à Toronto, au Canada, mon bureau se trouve dans le bâtiment Atkinson Building, c’est un bâtiment que Atkinson a offert à l’Université. Et le bâtiment porte son nom depuis 1972. Nous avons développé cela avec le ministre de la Fonction publique, le Pr Séni Ouédraogo, qui a soutenu toutes ces réformes. Nous avons contacté ceux que nous avons appelé les champions. Et nous avons créé un système des champions de ce pays. Nous leur avons donné le titre de professeur associé, et ils ont accepté de financer les infrastructures. Ils participent aussi à la formation. Ils donnent des séminaires à l’ENAM, et au passage, ils donnent des sous pour construire des infrastructures. C’est pour cela que nous avons réussi avec le ministre de la Fonction publique à mobiliser presque deux fois le budget de l’ENAM. Si vous sortez, vous verrez que le terrain de football financé par EBOMAF est déjà prêt, la construction de la bibliothèque est presque terminée. Les ouvrages arrivent très bientôt. Avec le ministre de la Fonction publique, nous avons réussi à obtenir des ouvrages qui viendront de la Haye. Ce sont des conteneurs qui arrivent avec l’ensemble des recueils de la Cour internationale de justice depuis 1946 jusqu’aujourd’hui. Vous ne trouverez nulle part ces ouvrages dans aucune bibliothèque en Afrique de l’Ouest. Pour nous, quand on parle d’une école de formation, il faut aussi de bons ouvrages, parce que la vision est de ne pas permettre aux chercheurs de débourser de l’argent pour aller se former à l’extérieur. Il faut faire venir le savoir ici. Et donc vous voyez, la construction des infrastructures, la modernisation des infrastructures, il faut densifier la coopération internationale et surtout avec le monde anglophone. Nous avons des conventions en cours : une convention avec la GIMPA à Accra pour que les énarques puissent aller pratiquer l’anglais, suivre les cours ; une convention avec Strasbourg pour qu’on vienne faire des formations certifiantes ici.
Pour le professeur associé de droit à l’université de York au Canada, l’avenir du Burkina se joue à l’ENAM, et donc il faut la prendre au sérieux
Aujourd’hui, quel bilan pouvez-vous faire de la mise en œuvre de ces différentes réformes ?
Le bilan est simple. Nous avons déjà envoyé trois promotions au Groupement d’instruction des forces armées (GIFA). Les réformes, au début, il y avait des réticences, mais maintenant, ce sont les élèves qui le réclament. J’ai été très heureux que le gouvernement ait décidé d’étendre ces formations militaires, et cela a été confié au Service national de développement (SND) pour s’en occuper. L’Etat a perçu la nécessité du fait que tous les fonctionnaires doivent avoir une formation militaire. Ceci est un bilan extrêmement positif. Ensuite, au niveau des curricula,, nous sommes en train de faire des évaluations post-formations. Nous avons envoyé une équipe parcourir toutes les administrations pour avoir le retour et savoir comment se comportent les nouveaux énarques qui arrivent dans les administrations. Et je puis vous dire que le rapport est extrêmement encourageant, parce que, que ce soit dans les collectivités territoriales ou dans les différentes administrations, les responsables sont extrêmement satisfaits. A Gaoua, par exemple, il m’a été rapporté que des stagiaires participent à des missions pour ces administrations-là. Les nouveaux énarques participent pleinement à l’animation de la vie de l’Administration. Naturellement, les réformes commencent à produire des effets.
Pour les infrastructures, nous vous laissons constater par vous-mêmes (NDLR : lire à ce sujet le reportage sur les infrastructures). Il y a un acte qui reste à poser, c’est celui de la révision du curriculum, parce que dans certaines universités comme à York au Canada, il y a des révisions internes qui se font chaque trois ans. C’est-à-dire que lorsque vous réformez les curricula,, après trois ans, vous devrez faire une révision interne, et après cinq ans, une évaluation externe. Nous avons prévu, cette année, de faire la révision interne. C’est dire que nous allons faire venir des experts du Canada, particulièrement, et de la sous-région et nous allons reprendre l’ensemble des curriculum, filière par filière, pour voir depuis trois ans, quels sont les changements qui sont intervenus dans la gouvernance institutionnelle qui mérite que l’on recadre la structure du programme. Nous allons le faire autour de février ou mars 2022, lorsque nous aurons notre budget. Ensuite, l’autre élément à faire fondamentalement, au niveau de la coopération, j’aimerais qu’en 2022, nous puissions envoyer des énarques au Ghana, à la GIMPA, pour qu’ils puissent aller faire un séjour pas seulement linguistique, mais participer à des cours que nous allons coécrire avec les collègues du Ghana pour que les gens puissent comprendre pourquoi c’est ce modèle qui marche.
Par rapport aux réticences aux changements, quelle attitude avez-vous adoptée pour amener les plus sceptiques à adhérer à ces différentes réformes ?
J’ai toujours dit à mon ministre que pour qu’une réforme marche, il y a deux qualités qu’il faut avoir. Il faut être idéaliste avec un peu de folie, mais aussi de l’audace et de la conviction. Je suis convaincu d’une chose, et c’est d’ailleurs la raison pour laquelle j’ai accepté de quitter mon confort pour venir m’asseoir ici. Je suis absolument convaincu que tant que nous n’allons pas transformer notre façon d’être, nous serons toujours les derniers de la planète. Soit nous acceptons d’être toujours des victimes de la mondialisation, soit nous en devenons des acteurs. C’est à nous de faire des choix. Et le choix passe par la formation. Il faut que les jeunes aient de la formation, de la compétence. C’est un fait. Tout le monde ne peut pas devenir fonctionnaire.
Nous avons des milliers d’étudiants dans nos facultés et nous fabriquons des milliers de chômeurs. Si nous ne revoyons pas les fondements de notre école, tant que nous ne ferions pas des ajustements nécessaires, nous resterons toujours les victimes de la mondialisation. Pour faire le changement, il faut avoir de la vision, il faut avoir de l’audace. Il faut avoir un nouveau style de management. Ce management doit être un management participatif, et simple. Je suis au service de tout le monde. Pour moi, chaque acteur est important. Que ce soit la femme qui nettoie, que ce soit le planton, ou le jardinier, quand ils viennent dans mon bureau, je leur sers du café, parce que pour moi, ils sont aussi importants comme mes autres collègues directeurs. Si tout le monde se sent impliqué dans le sort de l’institution, tout le monde sent qu’il a un rôle à jouer peu importe sa place. Je pense que le génie humain est potentiellement illimité. Et donc par conséquent, il n’est pas normal que nous soyons entre les mêmes filles et fils de ce même pays, et qu’on nous donne l’impression que nous sommes les pauvres gens de la planète. Il faut qu’ensemble, collectivement, nous puissions redéfinir les contours de notre avenir. Si nous ne menons pas ses réformes aujourd’hui, nos enfants seront les esclaves des Chinois. Incontestablement ! C’est pour cela que je pense que les réformes sont nécessaires dès maintenant. Elles vont être douloureuses, mais il faut faire des choix pour que demain soit meilleur. Et donc au départ, il y a eu des réticences, mais j’ai martelé certaines vérités simples. Vous pouvez vous-mêmes faire un sondage pour avoir une idée de notre management.
En avril 2019, vous aviez organisé une cérémonie de remise de toges à des acteurs du secteur privé burkinabè. Lors de la cérémonie, ces hommes d’affaires avaient pris des engagements de construire des infrastructures au sein de l’école. Aujourd’hui, quel est le bilan des différents engagements pris ? Où en est-on avec les différents chantiers promis ?
Ce jour-là, il y a eu 5 engagements qui ont été pris. Monsieur Idrissa Nassa de Coris Bank International avait prévu de construire un amphithéâtre et il a été le premier à nous remettre le chèque de 500 millions FCFA. Quand nous avons fait les projets, les différentes propositions de plans, nous voulions que ce bâtiment soit d’une certaine qualité, parce que nous avions émis le vœu de construire un bâtiment qui puisse permettre aux énarques de suivre des cours à partir de l’étranger. Ça veut dire qu’un cours qui sera dispensé à Toronto sera suivi ici par les élèves. Donc au vu de la qualité du bâtiment que je voulais, nous nous sommes rendu compte que les 500 millions FCFA étaient largement insuffisants, donc je suis reparti voir monsieur Idrissa Nassa, et il a accepté d’ajouter 200 millions FCFA pour que nous puissions atteindre la qualité que nous voudrions. Au total, Idrissa Nassa nous a remis 700 millions FCFA. Et aujourd’hui, les bâtiments sont en finition. Nous avons déjà commandé le mobilier depuis l’Italie qui arrive. Monsieur Mahamadou Bonkoungou du Groupe EBOMAF nous avait promis un terrain synthétique de football, aujourd’hui, c’est déjà fait, les élèves jouent sur un terrain synthétique. Monsieur Inoussa Kanazoé du Group Kanis nous avait promis une bibliothèque. Aujourd’hui, elle est en finition. Nous avons déjà commandé les ouvrages. Il reste maintenant à équiper. Le bâtiment est à deux niveaux. Le premier niveau sera celui des ouvrages, le deuxième niveau sera celui des ordinateurs, parce que j’aimerais que tous les énarques puissent se connecter. Nous allons connecter la bibliothèque aux ressources en ligne. Il y a eu des promesses de monsieur Apollinaire Compaoré. Il a envoyé une équipe après quelques relances, pour venir voir le terrain. Il a pris des mesures du terrain en son temps, il y a à peu près trois ou quatre mois. Nous avons même envoyé le plan au niveau du ministre de la Fonction publique. Nous l’avons regardé ensemble. Il avait suggéré quelques modifications et monsieur Apollinaire Compaoré a accepté le plan. Ils ont promis de commencer les travaux, mais ils ne l’ont pas encore fait. Donc pour ce qui est des promesses de monsieur Apollinaire Compaoré, les plans ont été validés, mais les travaux n’ont pas encore débuté. Pour la promesse de El Hadj Amidou Ouédraogo dit « Amid carreaux » qui a promis de construire la cafétéria de l’ENAM, il a envoyé ses équipes identifier le site. Il avait promis qu’au milieu de 2021, il allait commencer les constructions. Pour l’instant, les travaux n’ont pas encore débuté. Sur les cinq promesses, trois sont presqu’achevées, et nous attendons les deux autres promesses.
Pour ceux-là qui n’ont pas encore mis à exécution leurs engagements, que prévoyez-vous de faire à ce niveau ?
Vous savez, nous sommes dans une logique anglophone, c’est-à-dire, nous voulons que les gens adhèrent par leur propre volonté. Ce n’est pas une obligation. Nous nous assurons qu’ils ont compris la vision, ils ont compris l’importance du projet, et donc ils y contribuent volontairement. Pour moi, avoir son nom associé à une infrastructure, cela n’a pas de prix ! Vous n’avez pas une idée de ce que ces gens-là gagnent en retour du point de vue du regard social, parce que, lorsque les arrières arrières petits-fils d’Idrissa Nassa passeront ici, ils seront fiers de dire que leur arrière-grand-père a contribué à la formation des jeunes de ce pays. C’est un exemple de réussite. Il est parti de rien, et le voilà aujourd’hui. Je suis persuadé que lorsque nous réussissons, il faut aussi en donner aux autres. C’est ce qui définit notre appartenance à une communauté de destin. Mais je reste persuadé que les autres vont le faire, parce qu’ils ont déjà signé un certain nombre de documents et autres. Et il faut souligner que la pandémie de Covid-19 est venue bouleverser leurs planifications, et il faut aussi les comprendre.
Quelles ont été les principales difficultés auxquelles avez-vous été confrontés dans la mise en œuvre de ces différentes réformes ?
La première difficulté, c’est ce que j’appelle le « mind state », c’est-à-dire, l’état d’esprit. En effet, quand vous débarquez d’un modèle anglophone pour venir naviguer dans un modèle francophone avec des réalités différentes, avec des pratiques administratives différentes, vous vous confrontez à des chocs. Donc le premier choc, chez les anglophones, il y a très peu de textes. C’est-à-dire qu’on vous donne votre budget, et on vous présente les résultats auxquels vous devez parvenir. Et ils vous attendent à la fin pour voir si vous avez atteint les résultats. C’est le résultat qui commande tout le reste. C’est le principe de la reddition de comptes qui est extrêmement marqué par les systèmes anglophones. Ça veut dire que si vous avez atteint les résultats, on peut se poser la question de savoir si vous ne pouvez pas atteindre les mêmes résultats autrement. C’est ça la trajectoire. Il faut toujours faire plus avec peu. Mais quand je suis arrivé ici, je suis tombé des nues. Ici, ce n’est pas le résultat ; l’indicateur, c’est la procédure, ce sont les règles. Et à force de se focaliser sur les textes, finalement, ce qu’on demande à l’acteur, c’est sa capacité à appliquer un texte, et non pas à atteindre un résultat. C’est un vrai problème de ce pays. Les résultats ne deviennent pas un indicateur. C’est la procédure. Donc par conséquent, nous perdons toutes nos énergies, et nos efforts dans le respect des textes, pourtant la règle de droit n’est qu’un outil pour atteindre les résultats. Pour moi, le résultat est la clé.
« Je pense que les réformes sont nécessaires dès maintenant. Elles vont être douloureuses, mais il faut faire des choix pour que demain soit meilleur ». Pr Awalou Ouédraogo, DG de l’ENAM
Le deuxième problème, c’est que dans la pratique administrative, cela a secrété une façon d’être. Les gens sont habitués à venir en retard. Ils ne sont pas dans leurs bureaux. Leurs rapports avec les administrés ne sont pas reluisants. Et je pense qu’il faut que nous changions cela. Il faut changer le comportement individuel. Le dernier, c’est la hiérarchie rigide qui existe dans le système francophone. Au début, des gens ne comprenaient pas pourquoi je prenais du thé avec les plantons et autres. Donc ces petites choses au départ constituaient des difficultés et après, deux, trois ans, j’ai compris l’état d’esprit des Burkinabè.
Comment comptez-vous faire pérenniser les différents acquis qui seront engrangés ?
Cette question, on me l’a toujours posée, mais j’ai toujours donné la même réponse. Je ne me préoccupe pas de qui va arriver demain. C’est une fausse idée de croire que moi, je suis venu, j’ai fait ceci, il faut tout faire pour que cela reste. Nul n’est indispensable dans ce pays. Faites le boulot pour lequel vous êtes embauché. J’ai pris l’engagement de venir, j’ai dit que j’allais atteindre des résultats, et si je les ai atteints, je m’en vais. Celui qui viendra plus tard, s’il pense qu’on n’a pas besoin d’un amphithéâtre, qu’on n’a pas besoin d’un terrain et qu’il va le racler, alors qu’il le racle ! C’est son problème ! Personne n’est indispensable. Je ne suis pas le plus intelligent. Quelqu’un viendra, et il va ajouter son idée. Je suis venu pour un temps, et après quelqu’un d’autre viendra ajouter sa pierre. Il faut que chacun puisse faire son travail. Faites votre boulot au meilleur de votre intelligence. Et faites-le dans l’esprit que vous devez partir. J’avais prévu de faire trois ans, je l’ai fait, alors, je vais partir. Quelqu’un d’autre viendra apporter d’autres choses. Nous ne devons nous occuper que de bien faire notre travail !
Votre dernier mot ?
Je vous remercie pour la curiosité que vous avez développée pour venir comprendre ce qui se passe à l’ENAM. Je pense que l’ENAM est en train d’être prise au sérieux. Et donc c’est la preuve de l’intérêt renouvelé des différentes administrations que nous recevons tous les jours pour des demandes de convention et de partenariat. Nous pensons sincèrement qu’il faut que l’ENAM soit prise au sérieux, parce que c’est l’avenir du pays même qui s’y joue.
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