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Assassinat de Thomas Sankara : «Un gâchis terrible », témoin Bassirou Sanogo

Le procès de l’assassinat du père de la révolution burkinabè, Thomas Sankara et ses douze autres camarades s’est poursuivi, le mercredi 22 décembre 2021, à Ouagadougou, devant la Chambre de jugement du Tribunal militaire avec l’interrogatoire de six témoins.

Journaliste de formation et ancien ambassadeur du Burkina en Algérie, Bassirou Sanogo (73 ans), a été le premier témoin à se présenter à la barre, le mercredi 22 décembre 2021, à Ouagadougou. Devant le tribunal militaire, le diplomate sous la révolution a indiqué qu’il était hors du pays au moment des faits et que sa dernière rencontre avec le président Thomas Sankara remontait à juin 1987.

Mais, à l’en croire, le 11 octobre 1987, il a reçu un appel du président qui lui demandait de rentrer au pays le 13 octobre. A l’écouter, il préparait un rapport économique pour une rencontre devant servir à une visite de travail en Algérie. Selon le témoin, le Jour J, il a appelé Sankara pour lui annoncer qu’il viendrait le 15 octobre. Le diplomate d’alors ne pourra pas décoller de l’aéroport. Selon ses dires, le vol a été annulé parce qu’il y aurait des balisages à l’aéroport de Ouagadougou.

Il a précisé que c’est à son retour après l’assassinat de Sankara, qu’il a été reçu avec d’autres ambassadeurs par l’ex-ministre des Affaires extérieures, Jean Marc Palm. A cette rencontre, a-t-il souligné, il a tenu à poser la question au ministre pour savoir si on devait en arriver là. Il a également signifié que quand il est rentré au Burkina, le 14 novembre 1987, il a été mis en détention pendant six mois et demi par la gendarmerie. « Le n°2 voulait remplacer le n°1 » Pendant sa détention, a-t-il relaté, le général Djibril Bassolé l’a reçu et lui a proposé de collaborer avec le nouveau régime.

Le lieutenant Bassolé à l’époque l’accusait de n’avoir pas félicité le Front populaire. Aux dires du témoin Sanogo, l’assassinat de Sankara est « un gâchis terrible » pour le pays. De son appréciation par rapport au coup d’Etat, il a indiqué qu’il a été planifié. A l’époque, a-t-il révélé, il faisait parvenir des rapports au président. « J’avais eu l’information qu’une puissance souhaitait que le n°2 remplace le n°1 », a-t-il relevé.

Il a également précisé que dès 1986, il détenait des informations selon lesquelles il y avait des contradictions entre Blaise Compaoré et Thomas Sankara. Ces problèmes ont commencé au niveau civil avant d’être militaires, a relaté l’ancien membre de l’Union des luttes communistes reconstruite (ULCR). Il a laissé entendre que Sankara était la conscience gênante.

De sa relation des faits, le témoin a signifié que l’appui moral de la chefferie traditionnelle a permis la prise du pouvoir. « Elle estimait que Sankara était trop dur et Compaoré était plus accommodant », a-t-il expliqué. Le technicien de la radio à la retraite, Issouf Tiendrébéogo (65 ans), a succédé au journaliste à la barre.

Dans sa déposition, il a tenu à préciser qu’il n’a pas vécu les faits, mais il les a subis. Il a confié qu’il était de tranche d’antenne de 16h à 20h le jour des évènements. Selon le témoin, c’était aux environs de 16h qu’il a entendu les coups de feu vers le Conseil de l’entente. Quelque temps plus tard, Gabriel Tamini, Salif Diallo et Oumar Barrou sont entrés au studio.

« C’est Gabriel Tamini qui m’a informé qu’il y avait un coup d’Etat. Pendant la lecture du communiqué, j’ai coupé le micro avant ‘’La patrie ou la mort nous vaincrons’’ parce que je ne savais pas que ce n’était pas fini. Entre temps, c’est Salif Diallo qui est sorti me demander pourquoi, j’ai coupé le micro ». Après sa brève déposition, l’adjudant-chef à la retraite, Abdoulassé Kagambèga (67 ans), a été appelé à la barre.

Le sergent et chef d’équipe de la garde rapprochée du président au moment des faits a indiqué qu’il avait eu une fracture qui faisait qu’il n’était pas régulier au service. Il a fait savoir qu’il était au courant que sa vie était menacée. Mais, Thomas Sankara n’a jamais été d’accord que quelqu’un prenne l’arme contre Blaise Compaoré, a-t-il poursuivi.

« J’ai conseillé au président d’éviter de tenir ses réunions au Conseil parce que Blaise Compaoré et Gilbert Diendéré étaient basés là-bas », a-t-il soutenu. Pour lui, le 15 octobre 1987, quand il a eu l’information qu’il était au Conseil pour tenir une réunion, il s’est dit « ah ! ». C’est plus tard qu’on lui a annoncé que le président a été tué.

Près de trois mois sans munitions

En répondant aux questions des avocats de la partie civile, l’adjudant-chef a précisé que leurs expressions de besoins en munitions n’étaient pas accordées. Il a affirmé avoir fait près de trois mois sans munitions alors que c’est le chef de corps et son adjoint (Gilbert Diendéré) qui avaient les prérogatives de satisfaire la demande. A cette déclaration, l’avocat Olivier Yelkouny, a souhaité que son client vienne apporter des précisions. « Je n’ai jamais reçu de demande de munitions venant de l’aide de camp. Il n’y a jamais eu de retard ni de refus de dons de munitions », s’est-il justifié.

S’agissant de l’arme PKMS de la présidence qui a été sabotée, l’accusé, Bossobé Traoré, a été mis en confrontation avec Abdoulassé Kagambèga. M. Traoré a rejeté les déclarations du témoin, faisant croire qu’il a été responsabilisé pour s’occuper de l’arme. « Je n’ai jamais été tireur d’une arme lourde. Ce sont les kalachs que je tirais », s’est-il défendu.

Le 4e témoin du jour à passer à la barre a été l’actuel maire de la commune de Mangodara, l’adjudant-chef à la retraite, Famoro Ouattara. Le sergent-chef au moment des faits a affirmé que c’est Eugène Somda qui l’a informé que le président a été tué. Il n’était pas sur les lieux. Pour sa protection, le témoin a soutenu qu’il s’est rendu à l’ambassade de Cuba où il a passé une nuit.

« Rendons grâce à Dieu si je suis vivant aujourd’hui pour témoigner », a-t-il indiqué avant de fondre en larmes. Il a dit ne pas reconnaitre ce que Sankara a vu en lui, parce qu’il était chaque fois à ses côtés. Aux dires de M. Ouattara, il a passé 20 mois de détention à la gendarmerie sans savoir ce dont il était accusé. A l’en croire, entre les deux leaders de la révolution burkinabè, tout le monde savait qu’il y avait des problèmes.

« Nous avons tout fait avec lui. Il nous a dit de rien entreprendre », a-t-il lancé. Le président de la Chambre, Urbain Méda, a demandé au témoin ce qui l’a choqué lors de ce drame. « Nous avons failli à notre mission parce qu’il a dit de ne rien faire et nous n’avons rien fait », a répondu l’adjoint de l’aide de camp de Sankara.

Après le carnage, Hyacinthe salue Diendéré

Norbert Magnini et Pascal Bassorobou Apiou ont été les derniers témoins à être interrogés à la barre. Le premier, adjudant-chef à la retraite et sergent-chef au moment des faits a indiqué que c’est longtemps après les événements qu’il a pris service au Centre national d’entrainement commando (CNEC) de Pô en tant que commandant de compagnie. A l’écouter, un de ses éléments du nom de Roger Kéré lui a fait des confidences.

« Il m’a dit que le 15 octobre 1987, le général Gilbert Diendéré les a emmenés (au nombre de 4, Ndlr) dans un bureau pour ne pas être en contact avec les autres, car il y avait un danger imminent. Quelques jours, il est revenu me dire qu’il s’agissait du coup d’Etat. Il m’a expliqué qu’après le carnage, Hyacinthe Kafando est venu saluer Diendéré », a-t-il rapporté.

A la question du juge de savoir que signifie cette salutation, le témoin a souligné qu’il s’agissait d’une mission accomplie à l’issue de laquelle le sergent-chef Kafando venait rendre au chef de corps adjoint du CNEC. Le dernier témoin du jour, le sergent à la retraite, Pascal Bassorobou Apiou, était à la transmission au moment des faits. Il a indiqué que le 15 octobre 1987 il était de service.

A l’en croire, quand les tirs ont commencé, c’était la débandade. Il a appris plus tard qu’il y a eu un coup d’Etat. A l’entendre, vers 22h, le général Diendéré est venu lui dire d’aller informer au standard d’ouvrir la ligne de Kamboinsin. Des déclara-tions que le général a démenties. « Je suis surpris de cette affirmation. La ligne n’était pas fermée et ce n’était pas de mon ressort », a-t-il précisé. Le procès de l’assassinat de Thomas Sankara et ses douze compagnons reprend ce jeudi 23 décembre 2021 à 9h avec ou sans lecture de la déposition de certains témoins absents pour des raisons de décès ou d’accessibilité.

Aly SAWADOGO

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