Le Bureau d’analyse et des études stratégiques (BAES) du ministère de l’Économie, des Finances et du plan a organisé la 2e édition de sa conférence thématique sur « les implications et enjeux du passage du franc CFA à l’ÉCO », le jeudi 13 janvier 2022, à Ouagadougou.
Le passage du franc CFA à la monnaie commune de la CEDEAO, Eco, a des implications économiques et diplomatiques pour les Etats de la région pris individuellement. Dans l’objectif d’aider les décideurs à mieux cerner ces enjeux et se préparer à y faire face, le Bureau d’analyse et des études stratégiques (BAES) du ministère de l’Économie, des Finances et du Plan a organisé la 2e édition de sa conférence thématique sur « les implications et enjeux du passage du franc CFA à l’ÉCO », le jeudi 13 janvier 2022, à Ouagadougou.
Le coordonnateur du BAES, Casimir Kaboré
Pour le coordonnateur du BAES, Casimir Kaboré, la tenue de cette conférence entre dans le cadre du lancement prévu en 2027 de la monnaie unique indépendante de la CEDEAO dénommée « ECO » et vise à lancer la réflexion sur le sujet afin de dégager des pistes d’actions à mettre à la disposition des politiques ; le but ultime étant d’offrir au Burkina Faso les matériaux théoriques et pratiques pour réussir son passage du FCFA à l’ECO. Pour décortiquer ses implications et les enjeux économiques de cette monnaie unique pour le pays des hommes intègres, le BAES a fait appel à l’enseignant-chercheur en économique de l’université Norbert Zongo de Koudougou, Pr Mahamadou Diarra. Pour lui, toute union monétaire comporte des avantages, mais aussi des coûts.
Au niveau microéconomique, l’institution de l’Eco aura pour effets bénéfiques la baisse de l’incertitude du taux de change, la disparition des coûts de transaction monétaire, la réduction de la volatilité liée à la spéculation. Sur le plan macroéconomique, l’Eco permettra d’améliorer la fonction d’allocation des ressources à travers le mécanisme des prix. « L’introduction de l’ECO offrira aux pays de la CEDEAO une belle opportunité de mutualiser leurs moyens monétaires et de promouvoir leurs objectifs communs. Une monnaie supranationale accroît théoriquement la crédibilité, assure une meilleure stabilité financière et favorise l’intégration économique », a soutenu Pr Diarra.
La diminution de l’influence française
Pour ce qui est des inconvénients, la monnaie a le désavantage d’engendrer la perte de la politique monétaire et de change comme instruments de stabilisation conjoncturelle. En d’autres termes, il devient impossible pour les Etats d’utiliser le taux change pour améliorer la compétitivité-prix des exportations, de recourir à la politique monétaire pour stabiliser les cycles conjoncturels, a indiqué l’économiste. Pour une viabilité de l’union monétaire, il importe d’avoir une convergence des économies des Etats membres. Cette convergence doit être à la fois réelle (liée aux revenus des habitants) et nominale, qui est relative à l’inflation, la monnaie, aux agrégats budgétaires.
S’agit des implications au niveau national, l’avènement de l’Eco aura l’avantage de faciliter les échanges commerciaux avec les autres pays, d’engendrer le relâchement des contraintes sur la politique économique au regard de la souplesse des critères de convergence de la CEDEAO. Il va également permettre d’assurer le financement du déficit budgétaire par la Banque centrale, avec des montants pouvant atteindre 10% des recettes fiscales de l’année précédente.
Le régime de change flexible de l’Eco favorisera le rééquilibrage du compte courant de la balance des paiements et permettra d’éviter des déficits extérieurs excessifs grâce aux fluctuations du taux de change. Mais à condition que les exportations aient une compétitivité-prix et que l’élasticité de la demande nationale d’importation soit faible, a précisé l’universitaire.
Sans oublier que la dépréciation de l’Eco peut renchérir les prix des importations et créer des pressions inflationnistes au niveau du Burkina Faso, qui est très dépendant de l’extérieur ; avec un impact négatif sur les ménages pauvres très vulnérables.
Professeur Illy Ouesseni : « Il serait souhaitable pour le Burkina d’élaborer une stratégie nationale de passage du FCFA à l’Eco ».
Pour décrypter les implications et enjeux géopolitiques et diplomatiques de la future monnaie commune de la CEDEAO, le BAES a sollicité l’expertise de l’enseignant-chercheur en droit économique et monétaire de l’université Thomas Snakara, Pr Illy Ousseni. Pour lui, le passage à l’Eco va créer un bouleversement géopolitique dans la sous-région ouest-africaine. Au niveau externe, la monnaie unique va occasionner la diminution de l’influence française, à travers la perte d’un de ses meilleurs instruments qui est le franc CFA, et l’accroissement des rivalités entre puissances internationales au niveau sein de la région.
Au plan interne, il y aura une redistribution des cartes, notamment dans la gestion de la politique monétaire, avec une « dilution » de la « puissance ivoirienne » suite à l’entrée en scène de la « super puissance » nigériane et du Ghana.
La nécessité d’une stratégie nationale
L’accroissement de l’attractivité de la région va susciter l’arrivée des investisseurs, des touristes qui sera profitable pour le Burkina Faso. L’institution de l’Eco, a-t-il expliqué, va créer des niches d’opportunités pour les investisseurs et les exportateurs burkinabè. Sans perdre de vue que cette monnaie économique va augmenter le « prestige » et du « poids » du pays sur la scène internationale.
Mais il n’y pas que des effets bénéfiques. Car l’union monétaire régionale va engendrer la dilution de la capacité d’influence du pays des hommes intègres à l’intérieur de la zone, augmenter la concurrence dans l’attraction des investisseurs et dans la conquête des marchés.
Selon Pr Illy, le défi pour le Burkina Faso est comment impacter la politique monétaire régionale dans le sens d’une meilleure prise en compte de l’intérêt national. Tout cela va susciter un besoin accru d’expertise nationale en politique monétaire et financière, a-t-il.
Pour que le pays des hommes intègres tire le meilleur parti du futur Eco, il doit falloir abandonner sa diplomatie traditionnelle pour développer une diplomatie économique offensive. Il lui faut également créer une « Alliance stratégique » avec le secteur privé national, à travers un soutien politique et financier aux « champions nationaux ».
La mise en place d’une coalition avec les pays de structures économiques semblables comme le Mali, le Niger, le Togo, etc. et le renforcement de l’expertise nationale en matière de politique monétaire et financière, s’avèrent nécessaires. En un mot, pour mieux cerner les défis et tirer le meilleur profit de ce changement, il serait souhaitable pour le Burkina Faso d’élaborer une stratégie nationale de passage du FCFA à l’Eco, a conclu Pr Illy.
Pr Mahamadou Diarra,
Dans le même ordre d’idées, Pr Diarra propose de travailler à réduire la dépendance du pays vis-à-vis de l’extérieur en dopant la production locale et en misant sur une industrialisation axée sur ses avantages comparatifs régionaux d’abord et internationaux ensuite (textile, viande, cuir et peaux, bétail, etc.). Enfin, il préconise de sensibiliser les Burkinabè au consommons-local, d’avoir un meilleur climat des affaires et des investissements et une discipline budgétaire pour faire face à la concurrence fiscale.
Mahamadi SEBOGO
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