Incendie à l’imprimerie de fabrique de billet du F CFA : « La fabrication de la monnaie en soi n’affecte pas l’activité économique », rassure le Pr Idrissa Ouédraogo
Un incendie a touché l’imprimerie de la Banque de France à Chamalières, le mercredi 9 février 2022. A en croire les commentaires de certains internautes, cela pourrait avoir des répercussions sur la vie économique des pays membres de l’Union économique monétaire ouest-africaine (UEMOA). Pour éclairer l’opinion sur la question, Lefaso.net a interrogé le Pr Idrissa Ouédraogo, économiste et président du comité directorial de Forge-Afrique, le vendredi 11 février 2022 à Ouagadougou. Dans cet entretien, il invite les populations à ne pas paniquer. Lisez !
Lefaso.net : Un incendie a touché l’imprimerie de la Banque de France à Chamalières, le mercredi 9 février 2022. Quel peut être l’impact de cet incident sur l’économie des pays membres de l’UEMOA ?
Pr Idrissa Ouédraogo : Cet incendie semble ébranler et inquiéter nombre de nos compatriotes. On entend ici et là que nos économies vont en souffrir et que nous allons vivre une période d’inflation sans pareille, du fait notamment d’une pénurie de billets de banque. On voit aussi pointer à l’horizon le débat bien connu sur le franc CFA.
Je crois qu’il est important de commencer en indiquant que la fabrication de la monnaie est l’une des activités dévolues aux banques centrales par les Etats, et que cette activité n’est rien d’autre qu’un processus de production d’un bien (en l’occurrence, les pièces et billets de banque) qui est similaire à la production de tout autre bien. La fabrication de la monnaie en soit n’affecte pas l’activité économique.
Tout en ne banalisant par l’évènement, je dirais que cet incendie est à pendre avec sérénité et qu’il n’y pas à s’inquiéter outre mesure. En réalité, il y a une forte confusion entre la création monétaire et la fabrication de la monnaie. Toutes les craintes qui sont exprimées, notamment la question des impacts économiques, pourraient relever plutôt de la création monétaire et non de la fabrication de la monnaie.
En tout état de cause, même si la fabrication de la monnaie était déterminante, elle n’aurait pas eu un effet majeur sur les économies de nos pays, étant donné que la monnaie fiduciaire, c’est-à-dire la monnaie constituée des pièces et billets de banque, ne représente que 10% des moyens de paiement dans les économies modernes. La monnaie scripturale, cette partie de la monnaie qui est constituée de l’argent enregistré dans les comptes bancaires à travers les jeux d’écriture, représente plus de 90% des moyens de paiement. C’est dire que dans nos économies, la part de la monnaie fabriquée est relativement faible dans les transactions.
Vous semblez dire que le plus important, c’est la création monétaire et que c’est à ce niveau que les perturbations pourraient causer des problèmes. Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur cet aspect ?
Il faut noter que dans l’UMOA (Union monétaire ouest-africaine), le pouvoir exclusif d’émission des billets et pièces de monnaie dans les huit Etats membres de l’Union est confié à la Banque centrale des Etats de l’Afrique de l’ouest (BCEAO). La quantité des signes monétaires à mettre sur le marché est évaluée au regard de l’évolution de l’activité économique et des quantités nécessaires au remplacement des pièces et billets de banque à retirer de la circulation du fait de leur usure.
C’est sur la base de cela, que la banque centrale va commander des signes monétaires neufs. Ce n’est qu’après cela que l’imprimerie de Chamalières intervient. Ce n’est donc pas elle qui détermine les quantités de monnaie à injecter dans l’économie. Or, c’est précisément à ce niveau que la politique monétaire peut se transmettre à l’activité économique et éventuellement, avoir les effets pervers cités plus haut. Et ce, non à travers la fabrication de la monnaie, mais plutôt à travers la création monétaire.
Pour comprendre le processus de création monétaire, il faut retenir que c’est principalement à travers les crédits que les banques octroient aux entreprises et aux particuliers que la monnaie se crée.
Il y a deux façons pour les banques commerciales d’octroyer des crédits à leurs clients. La première consiste à utiliser les dépôts faits par leur clientèle et qui ne sont pas employés pour octroyer des crédits aux agents en besoin de financement. Dans ce processus que l’on labélise souvent par l’expression « les dépôts font les crédits », il n’y a pas de création monétaire.
La seconde façon d’octroyer des crédits à la clientèle, de loin la plus importante, consiste à effectuer un prêt sans avoir les montants correspondants en ressources (c’est-à-dire que le crédit n’est pas adossé sur une épargne préalable). Dans ce processus, les banques commerciales créditent le compte courant de leur client du montant du prêt accordé par un simple jeu d’écriture. De par ce geste, elles créent de la monnaie. Dans ce cas, on dira que « les crédits font les dépôts » du fait que le montant du crédit octroyé servira à alimenter le compte courant du client de la banque commerciale. C’est à travers ce mécanisme que le stock de monnaie en circulation est déterminé en fonction des besoins de monnaie du système économique. Si ce mécanisme n’est pas bien réglementé et contrôlé, on observera des dérives qui pourraient générer certains effets, tels l’inflation.
Est-ce que le fait de faire fabriquer notre monnaie en France n’est pas une manifestation de notre dépendance monétaire à l’égard de ce pays ?
Les éléments de dépendance sont à chercher ailleurs et non pas à travers la fabrication des signes monétaires. La dépendance est beaucoup plus liée au dispositif mis en place dans le cadre des accords de coopération monétaire entre la France et les Etats de l’espace CFA, qui donnent l’impression d’un asservissement de ces derniers.
Pour revenir à la question de la fabrication de la monnaie, il convient de retenir que les signes monétaires doivent être émis avec toutes les garanties de sécurité et à l’abri de toute contrefaçon. Cela requiert une expertise de haut niveau et des technologies de pointe. Peu de pays disposent de cette expertise et de ces technologies. C’est ce qui explique que de nombreux Africains font appel à des pays tiers pour la fabrication de leurs monnaies. Retenons qu’en Afrique, on dénote 43 pays qui font fabriquer leur monnaie à l’étranger. Parmi ces pays, 20 font recours à la France, 17 au Royaume-Uni et six à l’Allemagne. En Afrique, on compte neuf pays qui fabriquent eux-mêmes leur monnaie nationale.
Interview réalisée par Dofinitta Augustin
Lefaso.net