Situation nationale : Il est encore temps pour revenir à la légitimité et la légalité constitutionnelles, estime Dr Mamadou Hébié
Dans cette tribune, Dr Mamadou Hébié identifie les failles de la décision du Conseil constitutionnel portant nomination de Monsieur Damiba comme président du Faso et propose des pistes de réflexion pour un retour rapide à la légalité et à la légitimité constitutionnelles. Dr Mamadou Hébié est Professeur associé de droit international à l’université de Leiden aux Pays-Bas et a été, entre 2018 et 2021, l’assistant spécial du président de la Cour internationale de Justice.
1. Le 8 février 2022, le Conseil constitutionnel du Burkina Faso rendait deux décisions d’une grande importance. La première constatait la vacance de la présidence du Faso « suite à la démission de monsieur Roch Marc Christian Kaboré » tandis que la seconde établissait « monsieur Paul Henri Sandaogo Damiba » comme « Président du Faso à compter du 24 janvier 2022 ». Dans la même foulée, le Conseil décidait de recevoir le serment du « Président du Faso » ainsi consacré le 16 février 2022. On trouverait beaucoup à dire au sujet de ces décisions. Néanmoins, en ces temps critiques pour la vie de la Nation, il convient d’aller à l’essentiel et d’essayer d’être constructif.
2. Ce bref écrit vise à identifier, dans un langage sans ésotérisme juridique, les failles de la décision du Conseil constitutionnel portant nomination de Monsieur Damiba comme président du Faso et à proposer des pistes de réflexion pour un retour rapide à la légalité et à la légitimité constitutionnelles.
Quelles sont les failles de la décision du Conseil constitutionnel ?
3. La première faille de la décision du Conseil constitutionnel tient au fait qu’elle consacre un régime d’exception. En effet, l’investiture par le Conseil d’un individu au poste de président du Faso requiert que celui-ci ait reçu au préalable la légitimité populaire, soit à travers des élections régulières ou par tout autre moyen décidé par le peuple, notamment à travers les représentants des forces vives de la Nation, pour ne s’en tenir qu’à l’histoire politique et constitutionnelle de notre pays. Dans la mesure où le Lieutenant-Colonel Damiba n’a reçu aucune onction populaire, le Conseil n’a fait qu’adouber un régime d’exception fondé sur la prise du pouvoir par les armes.
4. La seconde faiblesse de la décision du Conseil constitutionnel tient au fait qu’elle omet de préciser la durée du mandat du Lieutenant-Colonel Damiba. C’est là le propre des régimes d’exception où la durée du mandat dépend de la bonne volonté des maîtres du moment et de leur capacité à conserver l’effectivité du pouvoir. Nous peinons cependant à croire que le Lieutenant-Colonel Damiba soit le premier président du Faso ayant un mandat à durée indéterminée, sinon à vie.
5. Troisième faiblesse : la décision du Conseil constitutionnel ne trouve aucun fondement juridique au pouvoir du Lieutenant-Colonel Damiba que le coup d’Etat et l’arrêt du Conseil ; d’où la caricature d’une pyramide des normes où règne suprême la kalachnikov. Cela se passe de commentaires… Par sa nature même, un régime reposant sur de telles bases ne saurait être la maïeuticienne d’un ordre fondé sur la Justice et la justice sociale, comme le veut le Mouvement Patriotique pour le Salut et la Restauration (MPSR). On le sait, les tares congénitales ne peuvent que s’aggraver avec le temps.
6. Enfin, la décision du Conseil constitutionnel empiète sur les prérogatives du comité technique établi pour définir les contours la transition, notamment sa durée, son agenda et ses institutions, y inclus la présidence du Faso pendant la période transitionnelle. Si le Faso a déjà un président, à quoi sert donc ce comité technique ? A-t-il toujours dans ses attributions la mission de réfléchir sur les institutions de la transition, y inclus l’exécutif ? La décision du Conseil constitutionnel prive aussi d’une partie de son objet la parole d’officier du Lieutenant-Colonel Damiba qui a promis, dès les premiers jours du MPSR, l’élaboration consensuelle de la charte de la transition.
Comment peut-on remédier à ces failles ?
7. Il faut, avant toute chose, clarifier le fondement juridique qui permet au Lieutenant-Colonel Damiba d’exercer les prérogatives gouvernementales dans cette situation de vacance du pouvoir, à savoir la nécessité d’assurer la continuité de l’Etat et de préserver la sécurité nationale et l’ordre public. Le droit permet dans de telles circonstances à ceux qui peuvent combler la carence de l’Etat de le faire, en attendant l’effectivité des institutions étatiques. C’est du reste un pouvoir semblable qui permet à un individu donné, sans autorisation légale, de réguler provisoirement la circulation quand les feux tricolores sont défectueux. Dans le cas de notre pays, la situation sécuritaire ne permet pas le luxe d’une longue vacance du pouvoir. On remarquera également qu’aucune autre force sociale ne réclame ni ne conteste au Lieutenant-Colonel Damiba le droit d’assurer la continuité de l’Etat.
8. Il est donc possible pour le Conseil constitutionnel de reconnaître et d’encadrer le pouvoir du Lieutenant-Colonel Damiba d’exercer, pendant la période intérimaire précédant l’adoption par les forces vives de la charte de la transition, les prérogatives gouvernementales nécessaires pour assurer la continuité de l’Etat, la sécurité nationale et l’ordre public. Ce pouvoir d’exercer les prérogatives gouvernementales, y inclus celui d’établir les institutions nécessaires pour ce faire, est cependant doublement limitée. Dans son étendue, il ne s’étend qu’aux actes nécessaires pour assurer la continuité de l’Etat, le maintien de la sécurité nationale et de l’ordre public. Dans le temps, il ne vaut que pendant la période intérimaire et prend fin dès l’établissement des institutions prévues par la charte de la transition.
9. Il serait donc souhaitable que le Conseil constitutionnel rectifie d’office sa décision du 8 février 2022 en vertu de l’article 44, deuxième paragraphe, de son Règlement intérieur de 2008. Pour éviter toute ambiguïté, la décision rectifiée devrait préciser : (a) que le Lieutenant-Colonel Damiba exerce les fonctions de président du Faso, à titre intérimaire, en attendant l’adoption consensuelle d’une charte de la transition et l’entrée en fonction de ses organes ; (b) que les pouvoirs du Lieutenant-Colonel Damiba ne s’étendent qu’à ceux nécessaires pour assurer la continuité de l’Etat, la sécurité nationale et l’ordre public. La décision du Conseil devrait également (c) fixer un délai pour l’établissement des institutions de la transition et, enfin, (d) réaffirmer que le Conseil demeure saisi de la situation pour parer au vide institutionnel, y inclus celui qui pourrait résulter de l’impossibilité de respecter la période intérimaire fixée. En toute hypothèse, si le Conseil devait hésiter à rectifier d’office sa décision, rien ne l’empêcherait d’en rendre une autre qui reprendrait les quatre points ci-dessus mentionnés.
10. En ces moments de crise institutionnelle, le Conseil doit donc réaffirmer toute sa pesanteur institutionnelle et jouer pleinement son rôle « d’organe régulateur du fonctionnement des institutions et de l’activité des pouvoirs publics », conformément à l’article 4 de son Règlement intérieur. Toute autre attitude s’apparenterait à une fuite de responsabilité.
11. Il urge donc de surseoir à la décision de faire prêter serment au Lieutenant-Colonel Damiba. Prêter serment n’est point nécessaire pour l’exercice des prérogatives gouvernementales dans les situations de vacance du pouvoir. En revanche, une prestation de serment aurait ici l’inconvénient de corrompre davantage la pureté de l’office du Conseil constitutionnel.
Pour conclure…
12. La solution ici proposée inscrit la période intérimaire dans la légalité constitutionnelle. Elle évite la confusion en respectant les prérogatives de la commission technique mise en place par les autorités politiques en place. Elle permet au Lieutenant-Colonel Damiba de tenir sa parole d’officier, à savoir conduire le Burkina Faso vers l’élaboration d’une charte consensuelle qui établirait les institutions de la transition et fixerait son agenda. Enfin, elle a le mérite de calmer les suspicions et craintes qui commencent à poindre au sein des forces vives de la Nation et de la communauté internationale ; toute chose nuisible à la sérénité et à la cohésion qui doivent présider à la refondation de l’Etat.
13. En tout état de cause, dans ces périodes critiques pour notre pays, les juristes qui ont l’oreille du Prince doivent continuer à faire preuve d’une rigueur et d’une créativité à la hauteur de nos défis. Ils doivent cependant garder à l’esprit l’histoire politique de notre pays. Celle-ci prouve abondamment que c’est le droit – ici la Constitution et son gardien – qui protège le faible, le pauvre, la veuve et l’orphelin. Il ne faut donc pas ruser avec les règles et les institutions au risque de décrédibiliser le droit et de lui faire perdre toute autorité à réguler les rapports sociaux. C’est pourquoi celui-ci ne doit pas être perçu comme un boubou (forogoya, en dioula) commode qu’on enfile à tous les desiderata du Prince, surtout ceux qu’il ne semble pas avoir exprimés.
Dr Mamadou Hébié est Professeur associé de droit international à l’université de Leiden aux Pays-Bas. Il est également titulaire du certificat d’aptitude à exercer la profession d’avocat du barreau de New York aux Etats-Unis d’Amérique. Il était entre 2018 et 2021 l’assistant spécial du président de la Cour internationale de Justice.
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