Politique

Burkina : L’Etat joue au grand prêtre de la réconciliation en pure perte depuis 2001

Qu’est-ce que cette réconciliation que tout le monde réclame et à laquelle nous ne parvenons jamais ? Y mettons-nous tous le même contenu ? Avons-nous adopté la bonne procédure pour y arriver ? L’Etat est-il vraiment la personne ressource pour piloter un processus qui concerne des individus et des familles ? La réconciliation peut-elle être imposée par le gouvernement ou d’autres personnes qui n’ont aucun intérêt dans l’affaire, n’étant ni victimes ni coupables du crime ?

Pourquoi cette affaire qui concerne des familles et des individus est devenue le seul programme politique de partis, de gouvernements et d’associations qui prétendent tous œuvrer pour la réconciliation à renfort de moyens occultes ? Depuis 2001, la réconciliation était au programme de tous les gouvernements, depuis cette date et on ne se demande pas pourquoi on n’y arrive pas.

Blaise Compaoré, Isaac Zida, Michel Kafando, Roch Marc Christian Kaboré, Paul Henri Damiba ont tous cherché la réconciliation. Mais ce qui est constant c’est l’absence de résultats. Retournons sur la fameuse journée du pardon au moment où l’actuel exilé d’Abidjan était encore chez lui à Kosyam pour arriver à cette lettre de demande de pardon portée par un ministre conseiller ivoirien et lue par le porte-parole du gouvernement burkinabè le 26 juillet 2022. Quelle est la nouveauté dans la lettre ? Cette lettre est-elle authentique et peut-elle obtenir le pardon ?

Le 30 mars 2001, il y’a eu une journée du pardon. Cette journée a eu lieu, parce que le pays vivait une situation insurrectionnelle suite à l’assassinat de Norbert Zongo et de ses compagnons le 13 décembre 1998. De vastes mouvements de protestation, venues du pays réel, avaient ébranlé le pouvoir de Blaise Compaoré suite aux crimes de Sapouy et il avait commis un collège des Sages pour lui donner conseil. Ceux-ci avaient préconisé, après avoir recensé les crimes impunis à cette époque la mise en place d’une Commission vérité justice réconciliation.

Le pouvoir a prétendu par l’organisation de la journée du pardon répondre ainsi à la suggestion en convoquant les gens dans un stade pour demander pardon. A l’époque le président Blaise Compaoré ne voit pas dans les crimes une responsabilité personnelle. « Peuple du Burkina Faso, en cet instant solennel, en notre qualité de président du Faso assurant la continuité de l’Etat, nous demandons pardon et exprimons nos profonds regrets pour les tortures, les crimes, les injustices, les brimades et tous autres torts commis sur des Burkinabè par d’autres Burkinabè, agissant au nom et sous le couvert de l’Etat, de 1960 à nos jours ».

C’est du fait de sa fonction de président, de la continuité de l’Etat que la demande de pardon est faite par Blaise Compaoré au nom des Burkinabè qui ont fait les crimes et tortures…. Du reste il le dira plus tard : « C’est la reconnaissance de la responsabilité de l’Etat et le regret officiel de tous les actes qui ont créé la fracture sociale qu’il nous faut absolument combler. » Blaise Compaoré n’a jamais associé les deux autres volets du processus, la vérité et la justice comme on lui a conseillé.

Il les évoque dans un futur proche des calendes grecques. « C’est la quête d’un pardon qui ne met pas un terme à la recherche de la justice, ni entrave à la manifestation de la vérité. C’est un pardon de paix et de la réconciliation pour un Burkina Faso nouveau. »

Dès ce jour la procédure était viciée parce que les criminels, les crimes et les victimes sont occultés dans cette demande de pardon. Or pour toute réconciliation il faut les parties en conflit, il faut la vérité sur le conflit, l’aveu du crime et sa reconnaissance par le fautif. L’Etat ne peut se substituer au criminel et de surcroit ne pas dire la vérité sur le crime. L’Etat burkinabè a fait cette mascarade avec une débauche d’énergie et de moyens pour un résultat nul. Nous ne sommes pas parvenus à la réconciliation, la preuve on en parle toujours.

L’Etat ne peut pas prendre le fardeau des crimes de Blaise Compaoré à sa place

Le pays a continué ainsi, dirigé par Blaise Compaoré, et il a été chassé par l’insurrection et s’est réfugié en Côte d’Ivoire, exfiltré par la France. Dès lors, les partis qui le soutenaient et qui se sont retrouvés dans l’opposition et des associations de la société civile pro Blaise Compaoré ont commencé à s’agiter sur la réconciliation, la justice transitionnelle, le retour à nos traditions pour que leur champion échappe à la justice. Il est condamné par contumace à la prison à vie comme Hyacinthe Kafando.

Le général Gilbert Diendéré, présent au procès, écope de la même peine. Le lieutenant-colonel Paul Henri Damiba et le pouvoir ivoirien le font rentrer le 8 juillet 2022 pour une rencontre entre anciens présidents et le nouvel homme fort. Ce fut une bérézina pour les organisateurs de ce retour sans passage par la case prison pour le condamné du tribunal militaire.

Apparemment ce voyage qui avait pour objectif la réconciliation devrait permettre à Blaise Compaoré de faire une seconde demande de pardon, puisque la lettre présentée au peuple le 26 juillet 2022 date du 8 juillet avec son contenu qui signale la présence de l’enfant de Ziniaré à Ouagadougou. Il y a une avancée notable dans cette lettre de demande de pardon par rapport au discours de la journée du pardon du 30 mars 2001. Ce n’est pas une demande de pardon au nom de l’Etat et sa continuité pour des Burkinabè, pour la période de 1960 à 2001, mais c’est une personne qui le fait pour « ses mandats à la tête du pays » : « Je demande pardon au peuple burkinabé pour tous les actes que j’ai pu commettre durant mon magistère et plus particulièrement à la famille de mon frère et ami Thomas Sankara »

Si Blaise Compaoré, l’individu, demande pardon, il ne dit rien de ces crimes, il n’avoue rien il ne dit pas la vérité sur ses fautes pour lesquelles il demande pardon. Concernant la famille Sankara qu’il a interpellé, il a refusé de venir au procès dire la vérité et même après le procès, sa vérité en tant qu’accusé Blaise Compaoré, n’est pas connue. Comment accorder du crédit à sa demande où la vérité manque ?

Ce qui fait douter de l’authenticité de cette lettre, c’est l’emploi du terme magistère qui ne traduit pas l’humilité et la sincérité dans la démarche du pardon. Si on se reconnaît fautif, disons le pêcheur puisque l’Etat a abandonné son rôle pour glisser dans la religion, on déchire ses vêtements et se couvre de cendres comme dans l’ancien testament, on ne se drape pas de vêtements de pourpre brodés d’or. Cette faute est la signature des communicants stipendiés qui sont à la manœuvre dans cette lettre de demande de pardon qui encore une fois a fait flop.

Le président Paul Henri Damiba devrait laisser les problèmes de personne et de famille aux familles et aux individus concernés. L’Etat peut payer des indemnités, il ne peut pas obtenir cet oxymore qu’est une réconciliation forcée. Laissons Blaise Compaoré régler ses problèmes, l’Etat ne peut pas prendre le fardeau de ses crimes à sa place, à lui et à sa famille d’aller chez les victimes et obtenir le pardon si vraiment c’est ce qu’il veut.

Sana Guy
Lefaso.net

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