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Tombes cherchent creuseurs

Mais qui va enterrer nos morts, quand les tombes cherchent des creuseurs, en vain ? Avant, un décès dans le quartier sonnait le deuil dans toutes les familles, parce que la tristesse était collective. Le silence gouvernait en maître absolu et les regards reflétaient la douleur des cœurs meurtris. Aujourd’hui, la mort des uns n’est plus une souffrance pour les autres, on meurt juste à côté, pendant que l’on jubile en face.

On meurt ici, pendant que l’on danse là-bas. Ainsi va la vie et tant pis pour les morts. Point de remords, aucun regret. Même dans le cortège funèbre, on rigole derrière le corbillard en se racontant des histoires drôles. Comme c’est étonnant ! C’est d’autant plus étonnant qu’au cimetière, la tombe regarde les spectateurs tirés à quatre épingles et regroupés en petits comités de causettes faites de calomnies et de ragots sur les vraies raisons de la mort du pauvre quidam.

Chacun croise les bras en regardant les quelques bagnards creuseurs s’échiner dans le trou avec ardeur, comme condamnés à un travail forcé. Il y en a qui sans égard pour l’effort consenti se permettent de dicter des leçons d’architecture ou d’ingénieur aux creuseurs, en insistant sur les dimensions à respecter et la profondeur à atteindre. Pendant ce temps, le ventru en « bazin » brodé ou en costume gesticule au téléphone entre les tombes des inconnus fauchés.

Le comble, c’est l’indifférence de tous ces jeunes bras valides qui, loin de la poussière, s’esclaffent à l’ombre en se racontant leurs prouesses de jeunesse sans le moindre stress. Du haut de leur diplôme et statut social ou professionnel, ils regardent les autres creuser, sans oser prendre une pioche ou une pelle pour un apport aussi infime fût-il, mais combien symbolique.

Ce sont toujours les mêmes qui creusent. Dans le quartier, ils sont taxés de bandits de tout acabit, de voleurs et de drogués, parce que désœuvrés et sans-emploi. Aujourd’hui, ce sont ces mêmes délinquants qui creusent, le sang dans la paume, pendant que les hommes de qualité se prélassent dans les vanités d’une existence sans sens. Pendant que le jeune cadre, bien fourré et ciré parle son « gros français » avec un accent parisien. N’importe quoi !

On peut comprendre que des personnes âgées ou malades s’abstiennent d’un tel exercice, mais quand des jeunes solides rechignent à mouiller le maillot pour une tombe, parce qu’il a dépassé cela, on se demande ce que ces hybrides sans repères ont appris de l’Homme, de notre culture. Mais à quoi sert vraiment cette culture, quand elle est oubliée ou négligée ? Qui sommes-nous sans ces valeurs nobles de nos traditions ?

En quoi sommes-nous Burkinabè ou Africains ? Il y en a qui pensent que l’essentiel du développement se trouve au-dessus des gratte-ciel ou dans la croissance économique ; en vérité, rien de solide ne se construit sur du sable. Dans une société où le modernisme secrète l’individualisme et le nombrilisme, l’absence d’humanisme et d’altruisme a fait de l’homme dit moderne un être du paraître, plutôt qu’un maître du connaître.

Le riche se prévaut de sa richesse en foulant aux pieds les percepts de sagesse. L’intellectuel n’est plus qu’un virtuel connaisseur, brasseur de thèses obèses aux pieds de prothèses sans béquilles culturelles, loin d’une tradition en perdition, taxée d’illusions, sans raison. Mais c’est bien pour nous qui copions servilement le blanc exemplaire en crachant sur notre propre identité, notre riche singularité.

De nos jours, l’humilité n’est plus une valeur, la simplicité n’est pas félicitée, l’orgueil fait la grosse gueule sous fond d’écueils, mais il est adulé. Mais de quelle grandeur s’estime l’érudit, quand il est incapable de voir au plus petit, le sens de sa propre valeur ? De quoi se vante le plus fort lorsque sa force n’est pas au service du bien et que son torse n’est qu’une écorce de poussière ?

A quoi bon vivre sans servir, si mourir, c’est comme partir sans rien obtenir ? En attendant le jour où nos tombes seront creusées à la sauvette par des machines du capitalisme, la solidarité africaine est en agonie et ça ne préoccupe personne. Et rien ne sert d’accuser le colonisateur, nous sommes les fossoyeurs de nos propres traditions, voilà pourquoi nous ne sommes ni blancs ni noirs. Nous sommes des déracinés aux âmes calcinées sans lendemain, parce que nous n’avons jamais été fiers d’hier. Et nous irons tous au cimetière.

Clément ZONGO

clmentzongo@yahoo.fr

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