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Tani Diadiapoa Tindano, malvoyante, étudiante en journalisme : un exemple de persévérance

Malvoyante de naissance, Tani Diadiapoa Tindano rêve d’embrasser le métier de journaliste professionnelle. Grâce à sa détermination et sa persévérance, elle a brillamment soutenu sa production de fin de cycle à l’Institut des sciences et techniques de l’information et de la communication (ISTIC). Parcours d’une étudiante hors-pair.

Institut des sciences et techniques de l’informa-tion et de la communication (ISTIC). Il est 15h 00 mn, ce mardi 21 juin 2022. Le parking, situé à l’entrée de l’institut sur l’avenue Joseph-Ki-Zerbo à Ouagadougou, est ‘’bondé’’ d’engins à deux roues. Celui des véhicules également. Dans la cour, l’ambiance est particulière. Journalistes professionnels, étudiants de l’institut, parents et amis des impétrants, encadreurs de l’ISTIC discutent à bâtons rompus en attendant la proclamation des résultats des étudiants qui se sont déjà prêtés à l’exercice de soutenance de leur production de fin de cycle.

Dans la salle n°1 située au sud de l’entrée principale, une étudiante s’active à passer à la « casserole ». La salle, malgré sa moyenne capacité, refuse du monde. 16h00, le jury est en place. Le président, Souleymane Ouédraogo, en costume sombre, chemise blanche et cravate bleue prend la parole. Il procède à l’appel de la candidate. Passé ces préliminaires, il lui passe la parole pour résumer les résultats de ses recherches. « Vous avez 15mn pour nous présenter le fruit de votre travail », lui lance-t-il.

Sans complexe, la jeune fille habillée en toge noir-rouge se jette dans le bain. Tâtant son papier, elle observe d’abord un temps des civilités. Puis donne les raisons qui ont prévalu au choix du sujet. Elle passe en revue les conditions dans lesquelles, le travail s’est effectué. Evoque les difficultés rencontrées. Ensuite, invite le jury à prêter une oreille attentive au magazine radiophonique de 26 minutes intitulé : «Education pour tous : l’enseignement de l’alphabet braille au primaire et au secondaire, une alternative pour une éducation inclusive au Burkina Faso ». Après le temps d’écoute, les membres du jury passent à la critique de l’œuvre. Ils sont unanimes.

« Pas grand-chose à dire », estiment-ils. Ils félicitent d’ailleurs l’impétrante pour ses efforts de recherche, de documentation et surtout la clarté de l’expression. Toutefois, quelques questions d’éclaircissements s’imposent. Les réponses apportées, le jury invite le public à se retirer afin qu’il puisse délibérer. Hors de la salle, l’attente est longue. Mais au regard de l’exposé et du travail réalisé, l’impétrante et ceux venus l’encourager sont confiants. Les journalistes venus pour la couverture médiatique de l’événement, qui est une première dans ce ’’temple’’ du journalisme, profitent de la courte pause, pour prendre langue avec l’étudiante et quelques encadreurs qui, durant deux ans, l’ont suivie.

Moment de suspense

Le maître de stage, Baba Hama :
« Je n’ai pas eu de difficulté à encadrer Tani car elle a une mémoire phénoménale ».

Après 45mn de patience, le public est de nouveau invité à regagner la salle. Debout devant le présidium, le président Ouédraogo prend la parole et déclare : «Madame …, le jury a jugé votre travail recevable. Le thème pertinent, d’actualité et surtout original. Pour cela, il vous attribue à l’unanimité la note de 18/20 et vous encourage à persévérer ».

Liesse et accolade dans la salle. Nous sommes à la soutenance de fin de cycle de Tani Diadiapao Tindano, la première personne vivant avec un handicap visuel admise à l’ISTIC en 2020 pour le cycle « Assistante en Sciences et techniques de l’information et de la communication option journalisme ». Le rêve d’enfance est devenu une réalité. « Le journalisme, c’est ma passion. Et ce choix n’est pas fortuit.

En effet, depuis ma tendre enfance, j’ai été bercée par la radio Djanwanpo de Bogandé. Car, obligée de rester seule pendant les travaux champêtres, je n’avais qu’elle comme compagnon. En plus, ma détermination était aussi motivée par le fait que je cherchais un moyen pour sensibiliser les parents des enfants vivant avec le même handicap», explique Tani Tindano. Cependant, le bout du tunnel n’était pas évident. Issue d’une famille de neuf enfants, Tani, malgré son handicap, est la seule à vivre l’expérience de l’école.

Considérée comme un « fardeau », elle est envoyée chez sa grand-mère maternelle à l’âge de quatre ans. Mais, « le choix des Hommes n’est pas celui de Dieu », a-t-on coutume de dire. Et ce qui semble être un débarras pour les parents biologiques, s’est transformé en grâce pour la petite Tani.

« Un jour, le centre ‘’Handicapé en avant’’ de Mahadaga, une structure qui est à plus de 400 km de là où je vivais, en collaboration avec le centre médical de Piéla dans la Gnagna, a décidé de faire un dépistage des enfants ayant des problèmes visuels. Informé, mon oncle maternel, Sibiri Bourougou, décida de m’y envoyer. Après consultation, il ressort que ma situation est irrémédiable. C’est ainsi que l’association a consenti à me prendre en charge en 2006 et m’inscrivit dans leur école », se souvient Tani.

Une succession de défis

Une fois au centre, le primaire est sans difficulté, selon elle, car toutes les conditions étaient réunies pour lui permettre d’étudier en toute sérénité. « Nos encadreurs sont formés à l’écriture braille et sur tout le matériel, les notes sont dans ce dialecte. Ce qui nous a permis d’apprendre très rapidement », avoue-t-elle.

Cette étape franchie avec le Certificat d’études primaires (CEP) en poche, commencent les

Exemple d’inclusion, le centre ‘’Handicapé en avant’’ de Mahadaga
est aujourd’hui fermé du fait de l’insécurité.

difficultés pour la jeune Tani et quatre de ses camarades. Au post-primaire, les enseignants n’ont pas une formation en alphabet braille. « Nous étions au nombre de 5 à avoir réussi au CEP pour la première promotion avec la section braille en 2011.

Pour le collège, il a fallu de longues négociations avec les responsables pour que nous soyons acceptés», confie Tindano. Alors qu’elle croyait être au bout de ses peines avec son Brevet d’études du premier cycle (BEPC) en main en 2016, Mlle Tindano se verra lancer un nouveau défi. « Je devais poursuivre seule l’aventure, car, les quatre autres n’ont pas franchi ce cap. Mais pour moi, les choses allaient être faciles, vu que certains enseignants du lycée public intervenaient dans mon collège», affirme-t-elle.

Mais, déception, ses dossiers seront rejetés par les mêmes à la rentrée sous prétexte qu’ils n’ont aucune formation pour prendre en charge ce genre de cas. « Dès lors, mes encadreurs ont encore entrepris des négociations et ils ont fini par accepter à condition que j’obtienne une moyenne supérieure ou égale à 10/20 à la fin du 1er trimestre», se rappelle-t-elle. Un défi que la nouvelle brevetée trouve indu mais, consent à relever.

« J’ai trouvé cela injuste, car je suis une élève et j’ai réussi à mon BEPC comme tous les autres. Pour me convaincre, j’ai pris cela comme un défi que je devais impérativement relever afin d’ouvrir la porte aux autres handicapés visuels », rassure-t-elle. Mentalement forte et sûr d’elle, elle termine le premier trimestre, avec 12/20 de moyenne, s’ouvrant par la même occasion, le chemin vers le baccalauréat qu’elle obtient en 2019 sans difficulté.

Ne perdant pas de vue son objectif de départ, elle décide de poursuivre des études de journalisme à l’université de Ouagadougou principalement, à l’Institut panafricain d’étude et de recherche sur les médias, l’information et la communication (IPERMIC) afin de poursuivre son rêve.

Des anges gardiens

Mais la décision n’enchante pas son directeur et encadreur au centre, Ounténi Ouaba qui se rappelle lui avoir suggéré de faire le droit comme bien d’autres handicapés visuels avant elle. « Mais elle a insisté dans sa volonté de devenir journaliste », avoue-t-il. Malheureusement les choses ne se passent pas comme elle le voulait.

Le directeur du centre ‘’Handicapé en avant’’, Ounténi Ouaba : «Tani est un cas pratique qui peut encourager les autres et même les familles ».

Alors qu’elle se préparait pour le test à l’IPERMIC, elle tombe malade. Et malgré sa volonté, elle échoue au test. Déçue et croyant son rêve évanoui, un coup de fil changera son humeur. « Alors que je me posais des questions sur ce que j’allais faire, parce que je ne voulais pas faire lettres modernes, la fondatrice du centre, Françoise Pédeau, m’a approchée pour savoir si je tiens toujours à faire du journalisme.

J’ai répondu par l’affirmative. Cependant, j’ai fait savoir à cette dernière que dans les écoles de formation, la scolarité est relativement chère», confie-t-elle. Néan-moins, Mme Pédeau insista à ce que Tani se renseigne sur les instituts de formation en journalisme. Et c’est ainsi que la jeune fille se retrouva à l’ISTIC. En cette fin de cycle, elle se classe 4e sur 40 étudiants avec une moyenne de 15,17/20.

Une performance qui n’a pas surpris son directeur de production, Baba Hama. « Tani Tindano est une personne admirable. Car, contrairement à vous et moi, elle a une mémoire phénoménale. Elle retient facilement les extraits dont elle en a besoin et cela facilite le travail de montage. Quant aux textes de narration, nous n’avons pas eu de problème, car nous étions en étroite collaboration avec l’Association burkinabè de promotion des aveugles et malvoyants (ABPAM) et sans faire langue de bois, je peux dire que nous n’avons pas rencontré de difficultés majeures avec elle », confie M. Hama.

Pour le directeur du centre, Ounténi Ouaba, cet aboutissement marque le couronnement de plusieurs années d’efforts. « Tani s’est toujours distinguée du groupe parce qu’elle met de la volonté dans ce qu’elle fait, donc le résultat ne nous étonne guère et aujourd’hui, elle fait vraiment notre fierté», reconnait son directeur.

Une nouvelle dynamique

Pour les responsables de l’ISTIC, ce coup d’essai fut une expérience fort enrichissante. « Lorsqu’elle est venue déposer sa candidature pour le test d’admission, nous avons convoqué une réunion de direction pour voir dans quelle mesure on pourrait accepter cette candidature», indique le Secrétaire général (SG) de l’ISTIC, Evariste Kaboré. Visiblement, cette rencontre censée statuer sur le sort de la candidate a convaincu les uns et les autres.

Tout comme son aîné, Boupougnimi Lompo pense que son handicap ne sera pas un obstacle à sa carrière journalistique.

« Quand j’ai pris Tani en entretien, je me suis rendu compte qu’elle était au-dessus de la moyenne donc, on ne voyait pas de raison de ne pas la recruter », affirme M. Kaboré. Seulement, il fallait lever quelques obstacles et c’est à l’issue des discussions et concertations avec l’ABPAM et les enseignants dans le but de voir comment elle pourra être intégrée dans le système, qu’elle a reçu le quitus. Et, « elle ne nous a pas déçus », confesse M. Kaboré. Créé en 1974, l’ISTIC, pour cette première expérience, manque visiblement de matériels techniques adaptés mais, le secrétaire général rassure.

« Les discussions sont en cours avec l’ABPAM afin de doter l’institut de matériels adéquats pour permettre aux autres étudiants d’être dans de meilleures conditions d’études », confie-t-il. D’ores et déjà, cette expérience a ouvert la porte à d’autres puisque pour la rentrée 2021-2023, ils sont deux étudiants malvoyants à être inscrits en première année en journalisme à l’institiut. Boupougnimi Lompo, l’un d’eux, affirme que si la passion pour le métier a germé en lui depuis son enfance, le courage et la détermination de Mlle Tindano furent le catalyseur.

« Nous étions ensemble au centre ‘’Handicapé en avant’’ de Mahadaga et en tant que mon aînée, sa réussite m’a beaucoup galvanisé. Et mon entrée à l’ISTIC a été facilitée par elle, puisqu’elle avait tous les renseignements et elle était déjà acceptée par tous», se réjoui M. Lompo. Pour lui, l’esprit d’inclusion dont a fait preuve la structure est à saluer à sa juste valeur. C’est pourquoi, il invite ceux qui sont dans la même situation que lui et désirent embrasser ce corps de métier à ne pas hésiter.

Ouagadougou est une grande ville, selon l’artiste-musicien Sino. Et pour un handicapé visuel, arpenter les artères avec cette ‘’forêt’’ de motos et de voitures n’est pas évident. Si Tani y est arrivée, elle le doit en grande partie à Banybla Ouali, une amie devenue sa ’’canne’’ dans la capitale. « Notre rencontre était comme prédestinée. Aujourd’hui c’est elle qui m’héberge, m’amène à l’école et me ramène. Même pendant ma production, elle m’a toujours accompagnée pour mes rendez-vous », fait-elle savoir.

Pourtant, étudiante à l’université Joseph-Ki-Zerbo, Mlle Ouali, malgré ses occupations, ne ménage aucun effort pour accompagner sa camarade. « Pour moi, elle est plus qu’une amie, c’est une sœur. Et s’il faut que je lui tienne la main jusqu’à ce que quelqu’un prenne le relais, je le ferai», rassure-t-elle. En tout cas, Tani Diadiapoa Tindano a prouvé qu’elle a de l’ambition, qu’elle est déterminée et toujours prête à surmonter les défis qui se dressent sur son chemin. Et sa famille espère que les portes lui seront ouvertes pour faciliter son intégration dans le corps des journalistes.

Donald Wendpouiré NIKIEMA

tousunis.do@gmail.com

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