Le gouvernement des États-Unis d’Amérique (USA) a annoncé la suspension du Burkina de l’AGOA (African Growth Opportunities Act) à partir de janvier 2023. Quelles sont les implications et les conséquences d’une telle décision pour le pays des Hommes intègres ? Pour y répondre, le journal de tous les Burkinabè, Sidwaya, s’est entretenu avec un spécialiste du droit international économique, Professeur Ousseni ILLY, enseignant-chercheur à l’Université Thomas Sankara.
Sidwaya (S) : La semaine dernière, le gouvernement des États-Unis d’Amérique (USA) a annoncé la suspension du Burkina de l’AGOA à partir de janvier 2023. Avant de revenir sur les implications de cette décision américaine, rappelez ce que c’est que l’AGOA.
Pr Ousseni ILLY (O.I) : L’AGOA, c’est l’African Growth Opportunities Act; en français, la loi sur les opportunités de croissance en Afrique. Il s’agit d’une loi et non d’accord comme certains le disent. La précision est importante, parce si c’était un accord, les États-Unis n’auraient pas pu suspendre unilatéralement le Burkina Faso. Cette loi a été adoptée en 2000 par le Congrès américain sous le président Clinton en vue de faciliter les exportations africaines vers les États-Unis.
Le slogan à l’époque pour le gouvernement américain, c’était « Trade, not Aid », à savoir, « le commerce au lieu de l’aide », parce que l’on a constaté que cela fait des années que l’aide dure mais la situation économique du continent n’évolue pas véritablement. L’aide crée des assistés alors que le commerce permet de soutenir les processus d’industrialisation, qui sont durables et plus bénéfiques aux pays pauvres.
Donc, cette vision du gouvernement américain était une bonne vision dans le principe. Concrètement, l’AGOA permet aux pays éligibles d’exporter leurs produits agricoles, industriels ou autres sur le marché américain, en franchise de droits de douane, c’est-à-dire sans frais de douane ; ce qui leur donne en principe un avantage concurrentiel par rapport aux autres pays.
Mais il faut dire dans les faits que très peu de pays ont pu réellement tirer grand bénéfice de cette loi. Les raisons sont liées entre autres à la complexité de la loi, aux conditions générales d’accès au marché américain mais aussi à la faible diversification des productions africaines.
S : Concrètement, que sous-entend cette suspension ?
O.I : Cette suspension voudrait dire que les produits burkinabè ne pourront plus entrer aux États-Unis sans droit de douane.
Il faut préciser que ça ne signifie pas une interdiction d’exportation des produits burkinabè vers les États-Unis. Ces produits peuvent toujours entrer aux États-Unis, seulement, ils perdent l’avantage qu’ils avaient en n’étant pas soumis aux taxes douanières.
Naturellement, cela constitue un désavantage pour les producteurs burkinabè par rapport aux autres dont les pays bénéficient toujours de l’AGOA.
S : Quelles sont les conséquences économiques et commerciales d’une telle sanction pour le Burkina ?
O.I : Les conséquences sont d’abord le risque de perdre le marché américain. Les produits burkinabè étant désormais soumis aux droits de douane, ils seront plus chers et cela peut inciter les importateurs américains à ne plus les acheter. Et cela risque de créer des problèmes aux entreprises qui bénéficiaient de ce programme.
Mais il faut noter que rapporté au commerce total du pays, l’impact n’est pas si important parce que de façon globale, le Burkina n’exporte pas beaucoup vers les États-Unis. En plus, ce ne sont pas toutes les exportations burkinabè vers les États-Unis qui bénéficient de l’AGOA.
Selon les chiffres du ministère du Commerce, les exportations AGOA atteignent à peine un milliard de FCFA par an.
Donc, vous voyez que ce n’est pas énorme. Néanmoins, ça reste un manque à gagner mais également des opportunités perdues pour ceux qui voulaient prospecter le marché américain. Et si on ajoute à cela la suspension du Millenium Challenge Account (MCA) décidée lors du coup d’État de janvier 2022, qui dépasse les 200 milliards, ça commence à faire un peu trop.
S : Les USA auraient dû être tolérants vis-à-vis du Burkina, vu que le pays traverse une période difficile, surtout sur le plan sécuritaire ?
O.I : Peut-être ; mais ils ont décidé autrement. Et c’est bien dommage.
S : Les USA ne sont-ils pas allés vite en besogne, en n’accordant pas une période d’observation aux nouvelles autorités de la Transition ?
O.I : Tout à fait, surtout que les nouvelles autorités se sont engagées à respecter le calendrier du retour à l’ordre constitutionnel normal conclu avec la CEDEAO. Mais après tout, je ne pense pas que ça soit la fin du monde.
Le Burkina Faso n’est pas le premier pays à être suspendu de l’AGOA. Et comme je l’ai souligné, l’impact global demeure limité. Par ailleurs, les entreprises touchées peuvent travailler à réorienter leurs exportations vers d’autres destinations en attendant.
S : Maintenant que le vin est tiré, que doit faire le Burkina Faso pour réintégrer l’AGOA, mais aussi pour éviter d’autres sanctions ?
O.I : Je pense que les conditions de réintégration sont implicites dans les raisons qui ont été avancées pour justifier la décision de suspension. Il y est fait cas d’absence de progrès démocratique. Donc, le jour où ils estimeront que cela n’est plus le cas, ils réintègreront certainement le pays.
Interview réalisée par
Mahamadi SEBOGO