Burkina – MPSR 2 : Bien communiquer fait partie de la bataille pour gagner la guerre
Le chef de l’Etat, président de la transition, a rencontré le 11 novembre 2022 les représentants des partis politiques et des organisations de la société civile. Le même jour, il a reçu les représentants des médias. Le commun des Burkinabè a appris le compte rendu de ces rencontres avec la source de la direction de la communication présidentielle reprise par l’ensemble de la presse.
La direction de la communication présidentielle est seule médiatrice de la parole et des images du président, mais a-t-elle aidé le président dans ses interventions qu’elle nous a présentées ? Il nous semble que les messages du président qui ont été diffusés, s’ils avaient été analysés par les communicants, auraient pu éviter certaines erreurs. Quelles sont les points faibles apparus dans ces discours ? Quelles similitudes peut-on retrouver dans le discours du capitaine et de son prédécesseur ? Le capitaine Ibrahim Traoré saisira-t-il sa chance en faisant de la communication une arme efficace dans la lutte contre le terrorisme ?
En huit mois nous avons eu deux coups d’Etat, deux présidents : un lieutenant-colonel et un capitaine . La différence entre ces deux militaires n’est pas seulement une question d’âge et de grade. Avec le temps, le capitaine enlevant son masque et déployant ses activités, nous saurons ce qui différencie davantage le lieutenant-colonel Paul Henri Damiba président du MPSR1, ex chef de l’Etat, aujourd’hui réfugié au Togo et le capitaine Ibrahim Traoré, président du MPSR2, chef de l’Etat, président de la transition. Mais déjà certaines dissemblances se font jour à l’avantage du jeune capitaine.
Première différence, le colonel Damiba a laissé l’image d’un affamé qui avait l’envie folle de se remplir les poches, confère cette scandaleuse augmentation de son salaire et celui des ministres alors qu’il a fait un coup d’Etat pour lutter contre le terrorisme et restaurer l’intégrité du territoire. Son cadet est tout autre, c’est un jeune homme désintéressé qui ne court pas après l’argent et le pouvoir. Pour le pouvoir il l’a dit, et pour l’argent il l’a fait : il garde son salaire de capitaine et ne veut pas de celui de président .
Pour la communication, le capitaine a toujours l’avantage quand on se limite à l’aisance verbale, la présence sur l’écran et la structure du discours. Mais comme le dit Peter Drucker : « La chose la plus importante en communication, c’est d’entendre ce qui n’est pas dit ». Nos deux derniers chefs d’Etat ont fait un putsch pour mettre fin à l’insécurité. Ils étaient tous membres du MPSR. A la fin du deadline qu’il avait donné pour avoir les premiers résultats de son action, le lieutenant-colonel Paul Henri Damiba a fait un discours étrange de bilan de la lutte contre l’insécurité où il rendait tout le monde responsable de la situation du pays, sans donner un bilan chiffré de la lutte en termes de territoires repris et de personnes déplacées retournées dans leur village. C’était le 4 septembre 2022 à Dori.
L’extrait de l’intervention du capitaine Ibrahim Traoré lors de sa rencontre avec les représentants des partis politiques et des organisations de la société civile était du même tonneau. Nous sommes tous responsables ; les Burkinabè sont appelés à faire leur introspection et à faire leur mea-culpa. Qu’est-ce que le chef de l’Etat recherche en glosant sur la responsabilité collective des Burkinabè dans la présence des groupes terroristes dans le pays ? Après avoir reconnu notre faute que devons-nous faire ? Quel changement de comportement attend-t-il du peuple ? Peut-être l’a-t-il dit à ses invités mais nous n’avons rien appris de cela. Quel est l’objectif performatif attendu du peuple en lui proposant cet extrait de la rencontre ?
Était-ce de voir la sincérité et la compétence expressive à l’oral sans texte écrit du jeune président ? Proposer des propos du président à la population dans le contexte actuel doivent servir à influencer la population, l’emmener à agir dans un sens. Et cet extrait comme le discours de son prédécesseur n’est pas rassembleur n’expose pas un problème clairement et la solution qu’il lui apporte pour qu’on y adhère. Ce n’est qu’ainsi que la communication devient un échange producteur d’action. C’est là que l’émetteur peut influencer le récepteur et obtenir quelque chose de lui.
Le président de la transition semble se plaindre de ceux qui font la fête à Ouagadougou pendant que les gens meurent ailleurs. Un président n’est pas un pasteur, un prêtre ou un iman. Que veut-il que les gens fassent pendant que cette guerre dure depuis plus de six ans ? Il faudrait que le capitaine Ibrahim Traoré n’oublie pas qu’il est aussi le président des travailleurs du secteur touristique et culturel, faut-il que ces hommes et femmes restent chez eux, pleurer la mort de ceux que les groupes terroristes tuent, sans travailler pour obtenir leur pain ?
Certains propos, même s’ils sont sincères et montrent les sentiments de l’homme Ibrahim Traoré, ne doivent pas être tenus par le chef de l’Etat le capitaine Ibrahim Traoré surtout quand ils se limitent à la dénonciation. Un président et son gouvernement ne font pas dans les lamentations, ils proposent des solutions. Comme le dit Spinoza, enseigner les vertus est meilleur que de les condamner. Vous l’avez fait en renonçant à votre salaire de président. Votre gouvernement pourrait trouver des mesures fiscales pour soutenir la lutte contre le terrorisme.
Aider tous les Burkinabè à participer à la résistance contre les groupes terroristes
Autre erreur de communication : demander à la presse de ne pas démotiver les troupes . Cela démotive le peuple de savoir que nos troupes sont abonnées aux médias et aux réseaux sociaux et avalent toute la daube qu’ils proposent. Cela voudrait dire que leur motivation intrinsèque est très faible et que les autorités militaires ne font rien pour les motiver avec les primes et leur paiement régulier, leurs relèves régulières pour avoir un temps de récupération et de formation avant de repartir au front.
Cette communication désespérante se faisait alors que le pouvoir préparait sa vision stratégique dans la lutte contre le terrorisme avec une réorganisation de l’armée et la création de bataillons d’intervention rapide. Voilà ce dont il faut parler qui exprime la résilience de notre armée au lieu de ressasser les fautes communes du passé. Entendre parler de cette réforme pousse à aller de l’avant, crée de l’enthousiasme et de la sympathie.
Le capitaine Ibrahim Traoré doit développer son sens de l’écoute, ce qui signifie diminuer son temps de parole. Et à partir de là, sa parole deviendra de l’or, elle contribuera à aider tous les Burkinabè à participer à la résistance contre les groupes terroristes qui veulent le pouvoir dans notre pays. La parole et les discours d’un président doivent aider ses compatriotes à construire une vie positive malgré les difficultés.
Sana Guy
Lefaso.net