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Dépollution des sites d’orpaillage : la phytoremédiation, le remède miracle

La nature, comme l’Homme et les animaux, utilise aussi les plantes pour se soigner. C’est le cas avec la phytoremédiation, une technologie écologique utilisée dans les régions du Centre-Ouest et du Centre-Sud du Burkina Faso pour dépolluer un environnement, mis à mal par les produits chimiques utilisés dans l’orpaillage artisanal et semi-mécanisé. Découverte.

En ce midi du mardi 6 décembre 2022, une cinquantaine de personnes dont une dizaine d’enfants, âgés pour certains de moins de 10 ans, se bousculent dans les entrailles  de la terre. Le crépitement des détecteurs de métaux tenus par des adolescents, jumelé au bruit des pioches et des broyeurs, constituent un infernal fond sonore pour ces aventuriers venus des quatre coins du Burkina Faso. Au milieu de cette fourmilière qui n’est que la partie visible de l’iceberg, s’est immobilisée une machine Caterpillar dont la pelle compte mordre la terre potentiellement riche en minerai.

Nous sommes sur un pan du site d’orpaillage de Nébia, dans la commune de Dassa, province du Sanguié, à près de 160 km de la capitale Ouagadougou, dans le Centre-Ouest du Burkina Faso. «Le Caterpillar n’est pas embourbé. Le camion que l’on doit charger a eu une crevaison en cours de route…», lâche le conducteur Seydou Séré, 33 ans, un mégot à la main. L’originaire de Ouagadougou qui traine sur les lieux depuis quatre ans, se sent «étranger» et dit n’avoir aucun pouvoir pour chasser les nombreux gamins du village qui pullulent sur le site.

Oumarou Bayili (21ans), étudiant en première année d’Histoire, aide son père depuis un mois à broyer de la latérite. Le risque pour lui de s’attacher au présent de l’or au détriment du passé de l’Histoire, n’est pas à écarter. Mais il soutient qu’il rejoindra le campus dès que les cours seront programmés. Après 12 ans d’activités, «faute d’avoir mieux trouvé», Salifou Bayili, 32 ans, côtoie toujours cet endroit «dangereux», au regard des éboulements meurtriers qu’il a vus depuis la découverte du filon d’or.

Si les occupants du site d’orpaillage de Nébia sont surtout préoccupés par la recherche du métal jaune et des devises qui en découlent, d’autres acteurs s’inquiètent de l’utilisation artisanale du cyanure et autres métaux lourds qui sont néfastes pour l’homme, l’environnement et les animaux. C’est le cas de l’Institut de recherche en sciences appliquées et technologies (IRSAT). En 2020, avec, le concours du Fonds national de la recherche et de l’innovation pour le développement (FONRID), il a implanté sur un site d’orpaillage, une technologie de «dépollution des sites d’exploitation minière artisanale et semi-mécanisée de l’or par phytoremédiation».

A Nébia, depuis une dizaine d’années, petits et grands recherchent l’or avec ardeur.

Selon la cheffe de projet, Dr Martine Diallo/Koné, la phytoremédiation est une technologie qui permet de dépolluer les sols, les eaux et l’air par l’utilisation des plantes. A Nébia, Chrysopogon zizanioides anciennement appelé Vetiveria zizanioides a été mis en terre dans une clairière clôturée s’étendant sur un hectare. Cette espèce végétale, venue du sud de l’Inde, a un système racinaire très fourni qui élimine sur une grande échelle, les produits chimiques utilisés par les orpailleurs dans l’extraction et le traitement de l’or, notamment le cyanure et le mercure, explique Mme Diallo.

Le site de dépollution de Nébia a été identifié avec le concours de l’Agence nationale d’encadrement des exploitations minières artisanales et semi-mécanisées (ANEEMAS). Il est comme une zone de confluence qui reçoit les rejets de cyanure et autres métaux lourds drainés par les eaux pluviales vers les cours d’eaux. Chrysopogon zizanioides procède à l’élimination des produits chimiques grâce à ses feuilles (phytovolatisation) et à ses racines (phytostabilisation, phytoextraction et phyto-dégradation), détaille la chercheuse.

Pour Dr Martine Diallo/Koné, outre la dépollution du site, le projet a permis un transfert de compétences à la population, notamment par la formation aux techniques de repiquage de «la plante miracle». Le moins que l’on peut dire c’est que des habitants de Nébia sont satisfaits des résultats. En premier le point focal des lieux, Emile Bayili qui se dit émerveillé par la rapide transformation d’un terrain où presque rien ne poussait.

«Au début, l’endroit était aride, il y avait à peine de l’herbe. Mais de nos jours, quand tu arrives, vraiment tu es très content. C’est devenu une grande brousse. Les reptiles et autres petits animaux sont de retour. « Si quelqu’un dit qu’il n’est pas ravi de l’initiative, c’est qu’il n’a pas vu les résultats ! », renchérit Issa Bayili, adossé au secco de son hangar où il mène la causette avec six autres personnes en face de l’école primaire publique A de Nébia. Le chef de terre de Nébia affirme avoir cédé le lopin de terre qui abrite la technologie de dépollution, car il a été convaincu dès le départ du bien-fondé du projet. «Dès que des herbes ont commencé à pousser dans la clairière, les plus sceptiques ont commencé à croire.

Le projet a permis de former beaucoup de gens de Nébia et des villages environnants. Certains ont déjà commencé à repiquer dans leurs champs pour les fertiliser ou pour freiner l’érosion», ajoute le chef. Alors que le projet se clôture en fin 2022, le chef de Nébia souhaite davantage de formations et de plants pour les villages voisins. Dr Martine Diallo/Koné se félicite de la baisse des teneurs dans certains cas et de la disparition dans d’autres cas, des métaux tels que le fer, l’arsenic, le cyanure et le mercure. Le projet de dépollution par phytoremédiation n’est pas cantonné à Nébia.

Il a été répliqué en avril 2022 dans le Centre-Sud du Burkina, près de la frontière avec le Ghana, plus précisément à Nimbrongo, dans la commune de Ziou, province du Nahouri. Cette fois-ci, l’IRSAT travaille en tandem avec un consortium d’associations et d’ONG sous financement néerlandais, dans la mise en œuvre du projet ECDD (Eau clé du développement durable) dont l’une des composantes prend en compte la phytoremédiation.

Un marché de dupes ?

Pour Etienne Nacoulma, la physionomie du site de Nimbrongo montre que la dépollution est en marche.

Dans ce village, le projet a affronté quelques résistances à ses débuts car certains orpailleurs étaient convaincus qu’on voulait les chasser des lieux. Mais avec les explications, les conseils, les sensibilisations et l’implication des forces vives de la localité, les choses ont pu démarrer, affirme Issaka Tapsoba, secrétaire particulier du préfet de Ziou. Le chef de Toungou, ravi de l’entente scellée, a mis à la disposition du projet, un terrain de 2 ha préalablement identifié avec l’apport de l’ANEEMAS, ajoute le président du Comité villageois de développement (CVD) de Nimbrongo, Tigussouré Sia.

Le dispositif se veut un réceptacle pouvant accueillir des polluants charriés à travers 14 ha de sites d’orpaillage éparpillés en amont, assure le conseiller en eau et sol, Etienne Nacoulma, officiant pour le compte du projet ECDD. Il fait observer que la technologie est mise en œuvre sur une superficie située entre des sites de cyanuration et des champs suivie d’un cours d’eau.

Cela a le mérite de protéger les spéculations qui y poussent et les populations qui vivent au-delà du Burkina Faso, vu que le cours d’eau se jette au Ghana, relate M. Nacoulma, visiblement satisfait des résultats engrangés en quelques mois. «Comme résultats déjà perceptibles, les plants ont réussi à limiter la dégradation du sol. Les ravins et les petites rigoles qui existaient, sont déjà comblés. Il y a une pousse d’herbe qui montre que nous sommes en train de reconstituer le sol qui était dénudé, totalement dégradé sur le site», a-t-il clamé.

Toutefois, pendant que les acteurs de la phytoremédiation mettent en œuvre leurs technologies à Nébia et à Nimbrongo, des orpailleurs et des utilisateurs de cyanure et autres métaux lourds continuent leurs activités. Très près de ces deux sites, on aperçoit effectivement des montagnes de terres extraites des profondeurs même à 60 m. Ces amas potentiellement riches et des roches préalablement broyées, sont distillés sur place dans des trous à cyanure, afin de recueillir de l’or.

«Les gens disent que le cyanur détruit le sol. Je n’en sais pas grand-chose. Je me contente de faire mon travail pour mériter mon salaire à la fin du mois. Seuls nos patrons ont un mot à dire sur la question», argue Kougré Sia, au milieu de ses plusieurs trous à cyanure, situés à deux pas de la clôture du site de dépollution de Nimbrongo. Son patron et chef du site, Karim Songtoa, estime que les orpailleurs sont conscients des dangers mais continuent d’utiliser le cyanure par manque d’autres méthodes pour extraire l’or.

Aussi, «nous pensons que comme les plantes absorbent les écoulements de cyanure et mercure, nous pouvons continuer à travailler un peu un peu pour pouvoir s’occuper de nos familles en attendant d’autres solutions», a ajouté le chef des orpailleurs. Cependant, il assure que des dispositions sont prises pour protéger les animaux et la nature du cyanure. Karim Songtoa confie par ailleurs que ses collègues et lui sont engagés dans des campagnes de reboisement pour limiter la déforestation.

Tout comme à Nimbrogo, les orpailleurs de Nébia disent n’avoir pas le choix que de continuer à utiliser le cyanure, au risque de se retrouver sans emploi et sans pain pour eux et pour leurs familles. «Nous félicitons les gens du projet pour ce qu’ils font. Nous savons que ce que nous faisons fait n’est pas bien, mais nous n’avons pas les moyens. Le cyanure est très dangereux, mais c’est dans cette activité que nous gagnons notre pain quotidien. Petit à petit, on va arrêter.

Mais pour le moment, si nous promettons d’arrêter, ce serait un mensonge», disserte Alassane Oualbéogo, près de son trou de cyanure à un jet de pierre du site de dépollution de Nébia. Lazare Tiendrebéogo, un peu plus loin, se fait très discret. A l’ombre d’un arbre, aidé par un adolescent, il prélève dans trois barriques, de la terre rouge qu’il mélange à de l’eau avant de la passer au tamis, à la recherche du précieux métal.

«Vous savez, un individu peut être conscient d’une situation. Mais quand pour l’instant il n’a aucune solution, il ferme les yeux et fonce», philosophe-t-il. N’y a-t-il pas comme un effet pervers qui consiste pour les orpailleurs à continuer à polluer en toute conscience tout en se disant que la phytoremédiation va faire le reste ?

Dépollueur de tensions communautaires

Kougré Sia travaille dans la cyanuration depuis 2015 sur le site de Nimbrongo.

«Même si la cyanuration est toujours pratiquée sur un site, la présence de la technologie réduit fondamentalement la pollution des sols mais aussi des eaux ruisselant des points de cyanuration vers le cours d’eau», fait observer Dr Martine Diallo/Koné. La chercheure a surtout confiance à la pérennité du Chrysopogon zizanioides qui, selon elle, demeurera et pourra continuer à dépolluer durant des décennies.

Le conseiller en eau et sol, Etienne Nacoulma, compte sur le temps et la responsabilité des orpailleurs pour adopter pleinement la technologie et utiliser des moyens verts d’extraction de l’or. «Les artisans miniers, tant qu’ils ne voient pas les résultats, ne peuvent pas adhérer. Lorsque nous leur apprenons comment dépolluer, ils comprennent qu’à leur niveau, ils doivent travailler à limiter cette pollution. Déjà, nous avons ce sentiment qu’ils sont même gênés de continuer ce traitement-là.

Au début, ils étaient sceptiques. Actuellement, ils montrent leur adhésion », analyse-t-il à propos des orpailleurs de Nimbrongo. M. Nacoulma fait également confiance à l’ANEMAS qui est, selon lui, dans la dynamique de trouver des moyens et des techniques plus appropriés d’extraction de l’or en milieu artisanal. Issa Bayili pense que les orpailleurs de Nébia feront de leur mieux pour réduire l’utilisation des produits chimiques car ils ont été sensibilisés et connaissent maintenant l’importance de repiquer la plante partout.

Si la phytoremédiation vise à dépolluer l’environnement des résidus de produits chimiques utilisés dans l’orpaillage, elle a également permis de dépolluer les relations entre communautés dans la province du Nahouri. Selon Issaka Tapsoba, vu que le site de Nimbrongo est situé à cheval entre les communes de Ziou et de Zecco, les deux bords ont rangé leurs incompréhensions aux oubliettes, pour s’accorder sur une initiative qui porte sur la santé et le développement de toute la province et au-delà.

Pour Salam Sawadogo en service au poste forestier de Ziou, une technologie verte comme la phytoremédiation est à même de réduire les conflits entre les agriculteurs et les éleveurs, car les animaux sont moins exposés à la consommation des herbes ou des eaux contaminées au cyanure. Il exhorte, par ailleurs, les acteurs à multiplier les campagnes de sensibilisation car les orpailleurs sont très mobiles.

En plus de la technologie de la phytoremédiation, Salam Sawadogo souhaite des plantations massives d’arbres pour prévenir l’érosion et reconstituer le couvert végétal. Les sites de Nébia et de Nimbrongo constituent des gouttes d’eau dans la mer quand on sait qu’à la faveur du boom minier intervenu en 2006, le Burkina Faso abrite près de 800 sites d’orpaillage employant un million de personnes au moins pour faire vivre quelque trois à quatre millions de personnes. Comme solutions, Dr Martine Diallo/Koné plaide pour une duplication de la technologie de la phytoremédiation à travers le pays, son transfert aux communes et son appropriation par les orpailleurs.

La chercheure vante également les autres avantages de Chrysopogon zizainoides qui, selon elle, est un antiérosif, un fertilisant et une matière première pour la fabrication d’objets utilitaires (toit de chaume, paniers). Dr Diallo note également les rôles de la plante dans le renforcement des pentes et dans la reconstitution du couvert végétal. En un mot, la chercheuse salue l’action d’une plante miraculeuse aux multiples utilisations.

Tilado Apollinaire ABGA

Très important :* Ce reportage a été réalisé avec l’appui du Rainforest Journalism Fund en collaboration avec Pulitzer Center.

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