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Ini Inkouraba Damien/Youl, présidente de l’APFG : « Les femmes doivent s’engager davantage en politique »

Elle est une figure de proue dans le combat pour l’épanouissement économique et social des femmes du Sud-Ouest. Mme Damien née Youl Ini Inkouraba a créé, en 1992, l’Association pour la promotion féminine de Gaoua (APFG) afin de contribuer à sortir les femmes de la pauvreté. Cette épouse d’un Libano-Burkinabè est également présidente et membre d’autres organisations de promotion des femmes et représente actuellement le Sud-Ouest à l’Assemblée législative de Transition (ALT). Dans un entretien accordé à Sidwaya, le samedi 3 décembre 2022 à Gaoua, cette enseignante de formation à la retraite, mais toujours très active, revient sur son combat, son expérience et évoque la situation sécuritaire au Burkina Faso.

Sidwaya (S) : Votre nom renvoie systématiquement au combat pour l’épanouissement social et économique des filles et femmes rurales dans le Sud-Ouest. D’où vous est née cette volonté ?

Ini Inkouraba Damien (I.I.D.) : Dans le combat que je mène, je suis guidée par la volonté d’œuvrer pour le bien-être de mon prochain. J’ai fait cet engagement de contribuer véritablement à l’épanouissement de la femme et de la fille du milieu rural pour leur intégration à la vie sociale, économique, culturelle et environnementale. Mon ambition est de voir les femmes être des actrices du développement et prendre leur destin en main.

S : Vous avez créé l’Association pour la promotion féminine de Gaoua (AFPG) en 1992. A quelle nécessité répondait sa création ?

I. I.D. : Nous avons créé l’AFPG dans le but de sortir les femmes de l’obscurantisme. Il faut dire qu’à l’époque, les femmes n’étaient pas assez organisées dans la région du Sud-Ouest. Et nous ne regrettons pas de l’avoir fait car aujourd’hui, nous voyons tout ce que l’association a apporté aux femmes du Sud-Ouest en termes d’épanouissement social et économique.

Dans ce sens, l’APFG mène des activités qui embrassent plusieurs domaines. Nous avons des unités de transformation de beurre de karité, de savon au beurre de karité, de brochettes de soja, de farine infantile enrichie, de soumbala ou de bière de mil communément appelée dolo. Nous avons plus de 300 femmes qui travaillent en équipe dans nos unités.

Au sein de l’APFG, nous avons également une structure de crédit appelée « Bôdane » qui touche près de 1 000 femmes par an. L’association dispose de 56 jardins nutritifs et nous excellons dans la culture de contre-saison, dans la fabrication des foyers améliorés et la promotion des produits forestiers non ligneux.

S : Concrètement, que faites-vous dans le domaine environnemental ?

I.I.D. : Notre association intervient dans beaucoup de domaines dont l’environnement. D’une manière générale, nous contribuons à la promotion des produits forestiers non ligneux. Nous luttons aussi contre la coupe abusive du bois à travers la création de pépinières ou le reboisement. Nous avons à cet effet planté en 2022 plus de 5 000 plants. Il faut souligner que les plants sont produits dans nos jardins par les femmes rurales, ce qui leur procure des revenus. Nous contribuons également à la sauvegarde de l’environnement par les constructions des foyers améliorés céramiques grand format ou les jardins nutritifs.

S : L’excision est toujours pratiquée dans le Sud-Ouest. Cette pratique est-elle la cible de votre combat ?

I.I.D. : Il faut dire que l’excision est une vieille pratique au Burkina Faso. Nous avons mené une grande campagne de sensibilisation et de plaidoyer en brandissant les conséquences néfastes de cette pratique. Notre combat porte aujourd’hui ses fruits car l’excision a beaucoup reculé grâce à la reconversion des exciseuses en animatrices ou en femmes battantes. Elles mènent des activités génératrices de revenus.

Aussi depuis 2004, les ex-exciseuses ont déposé leur couteau au musée de Gaoua. Dans le cadre de la lutte transfrontalière contre l’excision, nous venons de partager en ce mois de décembre, nos expériences avec nos associations sœurs à Bouna et Doropo en Côte d’Ivoire.

Nous sommes satisfaits des résultats que nous avons engrangés et souhaitons un accompagnement des partenaires et de l’Etat parce que la lutte contre l’excision est un combat de longue haleine car il y a toujours des poches de résistance dans la région.

S : L’AFPG dispose depuis 2009 d’une structure de crédit solidaire « Bôdane ». Comment en êtes-vous arrivé là ?

I.I.D. : « Bôdane » veut dire ‘’c’est le moment’’ en langue lobiri. C’est une structure de crédit solidaire des femmes que l’APFG a créée afin de répondre aux besoins de financement des femmes du milieu rural qui n’ont pas toujours accès aux banques classiques.

L’ultime objectif est de les amener à se familiariser avec les institutions financières classiques, étape par étape. Nous avions pris un crédit de 21 millions F CFA sans intérêt avec la Fondation Alain Marie Philipson que nous avons remboursé au bout de trois ans. De nos jours, nous touchons plus de 1 000 femmes par an.

Cependant, il y a toujours beaucoup de sollicitations que nous n’arrivons pas à satisfaire. Nous avons donc besoin du soutien des partenaires pour un meilleur épanouissement des femmes car nos femmes remboursent mieux. « Bôdane » offre des crédits de proximité qui répondent aux attentes des femmes en milieu rural.

S : Votre association dispose également d’un centre d’éducation non formelle. Qui sont ses apprenants et dans quel domaine sont-ils formés ?

I.I.D. : Effectivement, l’APFG a créé un centre d’éducation professionnelle des filles non scolarisées et déscolarisées en 2012. Les filles y reçoivent des formations en coupe-couture, coiffure, tissage, informatique ou en aide familiale. Elles reçoivent aussi des cours en éducation sociale et financière, en éducation civique et morale.

S : Quelle est la finalité du forum régional des femmes du Sud-Ouest que vous avez institué ?

I.I.D. : Le forum régional des femmes du Sud-Ouest est annuel. Il a pour but de rendre visibles les talents cachés des femmes et de leur donner l’opportunité de présenter leur savoir-faire et de s’ouvrir aux autres. Nous l’avons créé et institutionnalisé depuis 2014 afin de magnifier et valoriser les efforts des femmes battantes.

Nous sommes à la 10e édition. Le forum en lui-même est un programme où se mènent plusieurs activités des femmes. C’est à cette occasion que nous remettons des prix et des attestations aux meilleures gestionnaires des crédit « Bôdane ». En l’institutionnalisant, nous touchons actuellement 5 pays de l’Afrique de l’Ouest à savoir le Burkina, la Côte d’Ivoire, le Ghana, le Mali et le Sénégal. Les femmes de ces différents pays partagent entre elles les expériences réussies.

S : Sans doute que les débuts de votre engagement n’ont pas été faciles …

I.I.D. : Les débuts d’une telle œuvre n’ont jamais été faciles. Nous étions dans un contexte où les pesanteurs socioculturelles, les tares du village, la peur, l’ignorance ou l’analphabétisme avaient pion sur rue. Mais grâce à la sensibilisation, à la persévérance, je crois que nous sommes arrivés à obtenir une grande adhésion des populations à nos actions.

S : Vu votre engagement, comment arrivez-vous à concilier votre vie professionnelle et les activités de l’APFG ?

I.I.D. : Ce n’est pas toujours évident de concilier la vie professionnelle et les activités de l’APFG. C’est ce qui m’a amenée à un certain moment, à prendre une disponibilité sans solde pour travailler à temps plein pour l’association. Tout est une question d’organisation et de planification. N’oubliez pas qu’il y a aussi la vie de famille.Tout compte fait, tout est une question de qualité du temps que vous consacrez à la vie familiale, professionnelle, associative ou sociale.

S : Deux grands-mères issues de votre association ont été formées en Inde. A quoi renvoie cette notion ?

I.I.D. : Cela a été une fierté pour nous de voir nos membres sélectionnés pour être formés en Inde. C’est une conviction que les femmes du milieu rural ont des intelligences latentes et que nous avons pu réveiller et qui marchent très bien. Ces femmes ont été formées en 6 mois au collège à Tilonia en Inde en énergie solaire. Ce sont des femmes venues de 6 pays qui avaient été choisies.

A présent, ces femmes partagent leur expérience avec leurs sœurs à travers l’Afrique. Au Burkina Faso, elles ont formé des hommes, des femmes et surtout électrifié plus de 200 ménages dans les zones rurales.

S : L’orpaillage est beaucoup pratiqué dans le Sud-Ouest avec des jeunes filles et même des femmes sur les sites. Agissez-vous sur ce terrain ?

I.I.D. : Effectivement, nous avons de plus en plus des filles et même des femmes qui travaillent sur les sites d’orpaillage. Nous avons pu convaincre certaines d’entre elles qui suivent des formations professionnelles dans notre centre. Nous avons pu extirper des femmes des sites d’orpaillage à qui nous avons octroyé des crédits.

Elles mènent aujourd’hui des activités génératrices de revenus grâce au crédit que nous leur donnons. Nous avons aussi pu mettre en place des unités de transformation dans certains villages où il y a des sites d’orpaillage. Nous faisons des sensibilisations sur les sites d’orpaillage pour leur insertion sociale et sur les IST/SIDA et l’entrepreneuriat.

S : Au-delà des distinctions nationales, l’APFG a reçu des prix à l’international. Que représentent-ils pour vous ?

I.I.D. : Nous avons reçu de nombreux prix et distinctions sur le plan national et international. Au niveau national, nous pouvons citer le prix Baobab en 2015, le prix Brave femme Airtel en 2014, le prix Baramousso en 2016. Sur le plan international, nous avons reçu le prix du Sommet mondial pour la créativité des femmes en milieu rural, le prix Harunbutu qui veut dire « à cet endroit il y a de la valeur ».

Notre association a été faite chevalier de l’Ordre du mérite burkinabè, médaillée d’honneur de la collectivité locale, officier de l’Ordre du mérite national. Ces prix sont un honneur et une reconnaissance de notre travail. Cela nous réconforte beaucoup. Mais ces prix représentent de grands défis permanents à relever.

Le changement de mentalité est un travail de longue haleine. Toute l’équipe de l’APFG et ses partenaires s’y attèlent. C’est l’occasion pour nous de témoigner notre reconnaissance à tous ceux qui nous ont fait honneur et confiance. Nous travaillerons à mériter cette confiance jour après jour.

S : Votre expérience est-elle sollicitée hors de nos frontières ?

I.I.D. : Notre expérience est beaucoup sollicitée tant à l’intérieur comme à l’extérieur du pays. Nous travaillons actuellement avec certaines associations sœurs du Burkina Faso et des pays comme la Côte d’Ivoire, le Mali, le Ghana et le Sénégal dans divers domaines comme la lutte contre l’excision, les violences basées sur le genre, l’autonomisation économique et sociale des femmes. Nous recevons constamment des visites et cela nous réconforte davantage dans notre engagement.

S : On vous sait l’épouse d’un Libano-Burkinabè, Issam Damien, promoteur du premier hôtel de Gaoua, Hala hôtel. Votre engagement a-t-il l’accompagnement de votre époux ?

I.I.D. : Mon époux me soutient beaucoup et est assez compréhensif. Il a connu la Haute-Volta et aujourd’hui le Burkina Faso.

S : Comment a été perçue votre union étant donné que vous êtes issue d’une communauté très attachée à sa culture ?

I.I.D. : Au début, c’était difficile dans les deux familles, mais avec le temps tout est rentré dans l’ordre.

S : Vous aviez été membre du Sénat en 1998, conseillère municipale en 2000, puis première adjointe au maire de la commune de Gaoua et membre du Conseil économique et social. Votre secret ?

I.I.D. : Mon secret ? Je fais avec les femmes et la communauté, un développement endogène. Je mène une politique de développement qui répond aux attentes des femmes/filles et des forces vives de la région qui ont confiance en moi et qui me renouvellent leur confiance quand le besoin se manifeste.

S : Quelle appréciation faites-vous de la participation de la femme en politique ?

I.I.D. : La participation des femmes en politique est de mon avis assez faible. Pourtant, il y a des femmes capables. Je reste optimiste, car le déclic est déjà parti et la tendance va s’inverser dans un futur plus proche que les gens ne le croient.

S : Des associations se battent depuis des années pour le respect du quota genre dans les partis politiques. A votre avis, ce combat vaut-il la peine ?

I.I.D. : Oui, bien sûr ! Mais il faudrait que les femmes s’engagent davantage dans la vie politique ou sociale de notre pays. Que ce soient des femmes beaucoup plus déterminées.

S : Vous avez été désignée représentante du Sud-Ouest à l’Assemblée législative de Transition qui a été dissoute par le MPSR 2. Vous avez été reconduite cette fois-ci encore. Comment expliquer que vous fassiez autant l’unanimité ?

I.I.D. : Ceux qui m’ont désignée pourront mieux répondre. Je pense que l’engagement et la détermination ont beaucoup pesé dans mon choix. Les gens savent faire preuve de discernement. Et je pense que c’est aussi la confiance renouvelée des forces vives du Sud-Ouest et la constance dans mes actions qui ont motivé ma designation. Je leur dis merci pour cette marque d’attention et de respect.

S : Pourquoi avez-vous choisi d’aller à l’Assemblée ?

I.I.D. : Je n’y avais pas pensé. Ce sont les gens qui m’ont encouragée et accompagnée. Accompagnée parce que je reçois leurs encouragements chaque jour. C’est vraiment une expérience riche en enseignement. Voter des lois qui peuvent faire le bonheur des citoyens est formidable. J’étais ravie de la loi que nous avons votée sur les pupilles de la Nation, les héros et autres.

S : La situation sécuritaire reste préoccupante au Burkina Faso. Que faut-il faire, à votre avis, pour la juguler ?

I.I.D. : La situation sécuritaire est certes, préoccupante, mais elle n’est pas pour autant insurmontable. Pour cela, tout le monde, sans exception, doit mettre la main à la pâte pour combattre l’insécurité que nous connaissons. Chacun de nous vit cette situation et nous devons nous donner la main pour qu’ensemble, nous arrivions à vaincre ce terrorisme-là.

Entretien réalisé par Adaman DRABO

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