Prélèvement de 1% sur les salaires des travailleurs : « Il faut éviter de chercher des problèmes là où il y’en a pas », prévient le président du CISAG, Issaka Ouédraogo
Au Burkina Faso, le gouvernement a annoncé début décembre, la création d’un Fonds de soutien à l’effort de guerre évalué à 106 milliards FCFA. Ce fonds servira à prendre en charge, armer et équiper 50 000 VDP. Une mesure contestée par les syndicats pour qui « les travailleurs ne peuvent pas donner leur argent pour que des hauts gradés de l’armée s’embourgeoisent à Ouagadougou ou aillent renforcer leurs milliards ». Pour échanger autour de cette question, le président du Conseil d’information et de suivi des actions du gouvernement (CISAG), Issaka Ouédraogo, a accordé une interview à Lefaso.net le jeudi 29 décembre 2022, à Ouagadougou.
Lefaso.net : Au moment où des Burkinabè subissent déjà l’augmentation du coût de la vie, le gouvernement propose aux partenaires sociaux un prélèvement de 1% sur le salaire net des travailleurs du public et du privé pour contribuer à la lutte antiterroriste. Avec cette mesure, est-ce que la transition ne va pas se faire des ennemis ?
Issaka Ouédraogo : La contribution pour l’effort de guerre est un acte patriotique que tout citoyen burkinabè pourrait consentir pour donner un peu du sien à cette lutte contre le terrorisme. Mais à mon avis, c’est trop demander aux fonctionnaires dans la mesure où ils contribuent déjà de manière significative à cet effort de guerre à travers l’IUTS qui est coupé sur leurs salaires. Pour ne pas créer des situations sociales auxquelles nous n’aurons pas de solutions, il faut que l’État discute avec les syndicalistes pour trouver le juste milieu. Sinon, à mon avis, il y a déjà des efforts qui sont consentis par les travailleurs.
Comment trouver le juste milieu à cette préoccupation ?
Le juste milieu serait d’abord que l’État essaye de trouver des moyens ailleurs. De toute façon, il y a des contributions qui sont faites par des citoyens lambda. Aussi, vous avez nos opérateurs économiques que je salue au passage. Il s’agit notamment de Inoussa Kanazoé, Apollinaire Compaoré, Mahamadi Savadogo dit Kadhafi, Lassina Siénou, Mahamadou Bonkoungou….
Ces gens contribuent de manière significative à cet effort de guerre. Je crois que ce n’est pas l’intelligence qui manque au gouvernement pour trouver les ressources afin de combler le gap. Il faut éviter de chercher des problèmes là où il y’ en a pas. Parce que toucher à un centime des salaires des fonctionnaires sans leur consentement va amener une crise sociale que nous ne pourrons pas gérer, en plus de cette crise sécuritaire que nous connaissons.
Du coup, vous ne faites pas partie des personnes qui pensent que le gouvernement aurait dû purement et simplement imposer cette mesure sans consulter les partenaires sociaux au regard du contexte sécuritaire difficile ?
Le gouvernement ne peut pas prendre une mesure sans passer par les syndicats. Il ne peut pas non plus toucher au salaire d’un fonctionnaire sans son consentement quelle que soit l’urgence de la situation. Je pense que chacun est conscient de l’urgence qui prévaut dans notre pays. Cette situation sécuritaire, nous en sommes tous conscients. Les travailleurs ne sont pas des extraterrestres.
Aujourd’hui, qu’est-ce que le gouvernement fait pour compenser ce vide qu’a créé l’augmentation des prix des denrées de première nécessité ? Que vaut le salaire d’un fonctionnaire avec cette crise sociale ? Je pense qu’on ne peut pas forcer un citoyen à fournir des efforts. C’est de manière consciente, au vu de la situation, que chacun essaie de fournir des efforts.
Au temps du président Thomas Sankara, on imposait certaines choses à la population et ça marchait bien…
Vous croyez que si Thomas Sankara vivait aujourd’hui, il pourrait imposer sa vision aux gens comme il l’a fait dans les années 1986-1987 ? Les époques et les mentalités ont changé. Aujourd’hui, nous ne sommes plus dans les Etats de dictature mais plutôt dans un monde où chacun essaie de défendre ses droits. Et si vous avez vu, avant même sa disparition, le père de la révolution avait commencé aussi à recueillir les avis des populations avant de passer à certaines actions.
Il y a eu beaucoup de ces actions qui ont été applaudies à cause de leur justesse et de leur délicatesse. Par exemple, quand on prend, le « consommons burkinabè », ce concept entre dans le cadre de l’épanouissement du peuple burkinabè à travers la promotion des aliments que nous produisons ici. C’est une initiative qui était très bien réfléchie, très bonne que nous avons tous applaudi. Dans une certaine mesure, il y a eu également des actions qui ont été décriées comme les dégagements des fonctionnaires en son temps. Aujourd’hui, une telle mesure ne peut se faire sans une crise sociale parce que les mentalités ont changé. Donc, nous ne sommes plus dans les mêmes époques.
En résumé, les syndicalistes qui se disent sankaristes ne le sont pas en réalité parce que consentir 1% de son salaire n’est pas aussi la mer à boire…
Ça ne gêne personne de consentir des efforts pour aider nos autorités à bouter le nid du terrorisme hors de nos territoires. Parce que nous sommes tous dans le même bateau. Si le bateau chavire, nous allons tous nous noyer. Les gens sont tous conscients. Les travailleurs ne refusent pas de consentir des efforts mais ils disent qu’il y a d’autres sources auxquelles le gouvernement peut faire recours.
Ce ne sont pas les propositions qui ont manqué aux travailleurs pour montrer au gouvernement où est-ce qu’il peut aller puiser les fonds. Je crois aussi qu’il y a la gestion de ces fonds qui pose problème. Depuis des années, les gens consentent des efforts et vous avez vu, ce sont des détournements à n’en pas finir et les responsabilités ne sont pas situées. Cela ne rassure pas les uns et les autres. Il y a beaucoup de choses à revoir pour que des actions soient bien communiées et qu’enfin ensemble, nous puissions trouver le juste milieu.
Parlant de la mauvaise gestion des ressources par l’armée, quelle pourrait-être la solution envisageable ?
Comme on le dit souvent, l’armée c’est la grande muette. Les audits sont interdits au niveau des services de l’armée. L’armée est autonome dans sa gestion. Pour mettre en lumière la gestion de l’armée, il faut qu’on permette à l’ASCE-LC, par exemple, de contrôler les fonds qui lui sont donnés. Cela pourrait convaincre de plus en plus les populations à se dire que les fonds qui sont octroyés à l’armée pour les dépenses sont bien utilisés, parce qu’on arrive à faire des contrôles. Mais, si on n’arrive pas à contrôler ces fonds, soyez en sûr qu’on ne peut qu’avoir des doutes.
Le budget de l’État pour l’exercice 2023 qui se chiffre à 2 631,3 milliards de francs CFA a été adopté le 26 décembre 2022 dont plus de 501,7 milliards FCFA a été alloué à l’armée. Pourtant, nous savons tous que l’armée a des problèmes de capacité d’absorption de son budget. Ne faut-il pas commencer à trouver une solution à cette question avant de se lancer dans des contributions ?
Pour moi, ce n’est pas une équation difficile à résoudre. Il est vrai que dans un temps passé, on trouvait que les fonds alloués à l’armée n’avaient pas pu être épuisés durant l’exercice annuel auquel ces fonds avaient été alloués. Cela est dû d’abord aux lourdeurs administratives au niveau des décaissements des fonds. Ensuite, à mon avis, il y a un certain dysfonctionnement entre le ministère, l’état-major ainsi que les autres services de l’armée. Sur la question, j’ai eu à approcher des autorités militaires à l’époque et il est ressorti qu’il y avait une lenteur administrative au niveau de la signature de certains documents. Sous le président Roch Kaboré, des dossiers dormaient dans les bureaux de certains ministres et des responsables de la défense. Alors que c’étaient des dépenses urgentes qu’il fallait faire. Avec l’urgence à laquelle nous sommes confrontés actuellement, le budget alloué à l’armée sera épuisé dans le délai. Déjà, les dépenses sont fixées. Il reste les fonds pour leur mise en œuvre.
Pourquoi le gouvernement n’a pas voulu intégrer cette dépense au budget qui vient seulement d’être adopté par l’Assemblée ?
Je ne saurais vous dire pourquoi cela a été fait. Je crois que cette question revient au responsable technique du ministère des Finances
Est-ce que ce financement sous cette forme est extrabudgétaire ?
Toute dépense qui est exclue des dépenses du budget de l’État de l’année 2023, ne répond pas obligatoire aux normes budgétaires de l’année en cours. S’il faut trouver des moyens ailleurs pour le faire, je crois que l’État aura la bonne intelligence de le faire. La mesure (le prélèvement de 1% sur les salaires) a été prise après que le budget soit voté au niveau de l’ALT. Donc, c’est un budget extrabudgétaire.
Quels mécanismes faut-il pour assurer une certaine transparence dans la gestion des fonds si toutefois la mesure entrait en vigueur ?
Il faut associer l’Unité d’action syndicale et d’autres entités crédibles dans la mise en place de la structure de contrôle de ces fonds, pour mieux les rassurer.
Vos vœux pour la nouvelle année 2023 ?
Je voudrais d’abord présenter mes condoléances à la famille du Pr Marius Ibriga qui a été d’un grand conseil pour moi, un grand frère. Que son âme repose en paix ; que la terre lui soit légère. Je voudrais aussi par cette occasion souhaiter la bonne année 2023 à tous les Burkinabè épris de paix et de justice et leur dire qu’ensemble, nous pouvons lutter contre le terrorisme. Il n’y a que dans cette unité, que nous pourrons faire rayonner le Burkina Faso à travers le monde.
Interview réalisée par Aïssata Laure G. Sidibé
Lefaso.net