Pour Jacques Batiéno, professeur de philosophie, après les militants de MPP, l’arrestation à son domicile du président du parti « Le Faso Autrement » M. Ablassé OUÉDRAOGO le 24 décembre 2024 sonne comme un « couperet qui tombe sur le politique ».
Il regrette le manque de solidarité des acteurs politiques devant le sort de leur collègue, « ce silence complice des autres partis politiques (situation insupportable) qui valide définitivement cet assassinat du politique ».
La politique, en tant qu’objet non pas de la philosophie politique mais de la science politique, reste un élément essentiel de la vie d’un État constitué. Il s’agit de la politique comme pratique ou comme agir, mais aussi comme organisation sociale ou encore exécution d’un projet de société. Dans ce sens, le premier but de l’État (ici le gouvernement) est d’assurer la pérennité et l’unité de la communauté sociale dont il a la charge. Tel doit être l’objectif principal de ce pouvoir installé au Burkina Faso depuis un peu plus d’un an maintenant. Dans cette perspective, avec la situation que ce pays traverse depuis presqu’une décennie, ce pouvoir ne saurait être tout seul à la manœuvre, et a besoin de la contribution ou de la participation des uns et des autres. C’est là où les partis politiques, voire les Organisations de la Société Civile (OSC) ont une partition déterminante à jouer. Concernant les partis politiques en particulier, leurs activités sont décisives soit comme partie prenante de la politique en cours d’exécution, soit comme opposition à celle-ci. Dans ce dernier cas, et si la démocratie est dans son fonctionnement normal, les partis politiques, les hommes et les femmes qui les animent, jouent un rôle de vigie, de contrepouvoir permettant au gouvernant de mieux orienter sa politique. En revanche, lorsque la démocratie est vidée de sa substance, à l’instar de ce qui se passe actuellement au pays des hommes intègres, sonne le glas pour le politique, c’est-à-dire les femmes et les hommes politiques. Le cas du Dr. Ablassé OUÉDRAOGO est révélateur d’une telle configuration, illustration de la mort du politique.
De fait, cette exécution du politique, sacrifice suprême peut-être dont l’autel est à déterminer, est engagée avec « la séquestration et l’arrestation » des militants du Mouvement du Peuple pour le Progrès (MPP) le lundi 4 décembre 2023 au siège même de ce parti politique. Des militants qui ne faisaient qu’assurer une permanence administrative afin de maintenir un minimum de contact avec ses adhérents. Quoi de plus normal quand on sait que les activités des partis politiques sont suspendues dans ce pays. Ce fait, digne des États à parti unique, entame sérieusement la légitimité de tout parti politique d’exister au Burkina Faso. Cela d’autant plus qu’aucune raison ou explication n’est donnée pour justifier cette intervention de la brigade anticriminalité de la police au siège du MPP.
Avec l’enlèvement de M. Ablassé OUÉDRAOGO, président du parti politique « Le Faso Autrement », dont le seul tort est d’avoir osé émettre un avis objectif et sans réserve sur les dérives gouvernementales du pouvoir en place au Burkina Faso, c’est le couperet qui tombe sur le politique. Pour quiconque possède un supplément d’âme, il est impossible de rester insensible à ce qui se passe au Burkina Faso où la rétention de l’information, la désinformation ou la non-information concernant la lutte contre le terrorisme se prolonge dans une propagande digne d’un absolutisme, où la liberté d’opinion, la liberté de la presse ont connu un recul important, où le musellement de tout esprit critique, l’intimidation, la terreur sont un mode de gouvernance. M. Ablassé OUÉDRAOGO, à n’en pas douter, possède ce supplément d’âme, et c’est en toute objectivité qu’il a formulé les réserves, que nous connaissons tous, sur la gouvernance actuelle, qu’il a fait la mise en garde, que nous connaissons tous également, contre les conséquences d’une telle gouvernance, qu’il a exprimé quelques critiques, qui n’étaient pas sans fondement, sur l’orientation qui est donnée à la politique actuelle.
Cela doit-il lui valoir d’être kidnappé ? Pour quoi faire ? Quel intérêt pour le Burkina Faso ? Quelle en est la pédagogie ? Que reste-t-il d’un gouvernant qui est réfractaire à la critique et qui gouverne dans la susceptibilité ? M. Ablassé OUÉDRAOGO est un politique avisé dont les critiques traduisent le fait que l’espace démocratique est un espace de discussion. Il suffit d’en tenir compte ou non. Dans le dernier cas, le combattre au niveau des idées, et non s’en prendre à sa personne. Il n’y a aucune bravoure à s’en prendre à plusieurs, armés, à un individu, de 70 ans de surcroit, désarmé. On y voit que l’expression du droit du plus fort, du « poutinisme » pur et simple.
Le comble dans cette affaire, c’est qu’aucune officine politique n’a posé de geste de solidarité pour ce confrère. Ne dit-on pas pourtant que « l’union fait la force » ? C’est sans doute ce silence assourdissant, ce silence complice des autres partis politiques (situation insupportable) qui valide définitivement cet assassinat du politique. La même chose c’était déjà produite lors des déboires des militants du MPP. Quelle lamentable ironie du sort ! quel désespoir ! S’en est-il donc terminé des politiques (femmes et hommes) au Burkina Faso ? Oui, serait-on tenté de répondre, s’en est absolument fini d’eux, ils sont morts et enterrés, le capitaine Ibrahim TRAORÉ et son Mouvement Patriotique pour la Sauvegarde et la Restauration deuxième du nom (MPSR 2) ont eu raison d’eux, ils n’en ont fait qu’une bouchée, et ces politiques peuvent désormais prendre leur retraite, si ce n’est déjà fait.
Au total, cette cabale du MPSR 2 contre le Dr. Ablassé OUÉDRAOGO dévoile au grand jour une autre promesse non tenue du capitaine Ibrahim TRAORÉ. En effet, le principal argument justifiant de la suspension des activités des partis politiques est la question de la sécurité des responsables politiques. Où en est-on aujourd’hui avec cet argument ? est-il encore légitime ? A-t-il encore sa raison d’être ? Quand on sait que ces responsables politiques vivent dans la terreur, terreur dont l’État lui-même est l’instigateur, on est en droit de se dire que cette suspension des activités des partis politiques vise une autre fin que la sécurité des responsables politiques, car, à vrai dire, ils ne sont en sécurité nulle part sous le règne de ce MPSR 2. C’est une suspension qui ne cache plus le véritable agenda. L’enlèvement du Dr. Ablassé OUÉDRAOGO, au moins, en est l’illustration qui signe la mort du politique.
Bonne chance M. OUÉDRAOGO ! Tenez bon !
Paris le 2 janvier 2024
Jacques BATIÉNO
Philosophe
Kaceto.net