Burkina : “La difficulté majeure dans ce secteur de la fiscalité, c’est l’absence d’un Ordre”, Ida Hatini Toé Bonzi, consultante juridique et fiscal
Après des études couronnées par une maîtrise en droit des affaires et carrières judiciaires, Ida Hatini Toé Bonzi s’est forgée une solide carrière dans le secteur bancaire avant de fonder TehiConsult. Forte de son expertise et de son engagement, elle encourage les PME à reconnaître la valeur du conseil juridique et fiscal. Dans cet entretien, elle déplore également l’absence d’un ordre pour contrôler l’exercice du métier de conseil fiscal au Burkina Faso.
Lefaso.net : Pouvez-vous nous parler de votre parcours scolaire académique ?
Ida Toé Bonzi : J’ai un parcours un peu typique. J’ai d’abord fait un baccalauréat en gestion (G2), tout me prédestinait à un métier de gestionnaire. Et par le hasard des choses, je me suis retrouvée orientée en faculté de droit alors que je voulais faire sciences économiques et de gestion. Et j’ai décidé d’y aller. J’ai obtenu une maîtrise en droit des affaires et carrières judiciaires au bout du premier cycle à l’université d’Abommey Calavi du Bénin. J’ai ensuite poursuivi pour obtenir un Diplôme d’études supérieures spécialisées (DESS) en droit des affaires, option banque de l’université Cheick Anta Diop de Dakar au Sénégal. Il faut dire que mon rêve de devenir gestionnaire ou financier m’a rattrapé au fil du temps. En effet, durant mes études en faculté de droit, tous mes travaux de recherche avaient un lien avec la finance et la banque. Dès ma maîtrise, j’ai soutenu sur les paiements électroniques et en poursuivant mes études supérieures, je me suis définitivement orientée vers la banque et plus récemment la fiscalité.
Et qu’est-ce qui vous a motivé à faire des études dans ce domaine quand on sait que les femmes, très souvent ne s’y intéressent pas ?
Dès ma classe de seconde AB3 au lycée technique, j’ai été séduite par les métiers de la gestion. En première ensuite, j’ai découvert le droit où j’excellais, il est vrai, sans que ce ne soit mon choix initial de carrière. L’un dans l’autre, j’aurais pu m’orienter en secrétariat qui était prisé par la majorité des filles, mais moi, dès la seconde, j’ai vu mes aptitudes en termes de comptabilité, de gestion d’entreprise et je pense que le virus m’a pris depuis cet instant.
Comment se passe votre parcours professionnel après vos études ?
Mes premiers pas, je les ai faits dans un cabinet d’avocat de la place en tant que juriste. Après sept mois, j’ai rejoint un établissement financier où j’ai fait trois ans avant de rejoindre la banque pour onze années d’une riche carrière notamment à l’exploitation.
En 2019, j’ai eu des ambitions d’entreprendre dans le domaine du conseil juridique, fiscal et de l’accompagnement des entreprises dans la relation banque entreprise. Dans le souci de performer dans ce que j’entreprends, j’ai opté de faire le diplôme des inspecteurs des impôts à l’École nationale des régies financières (ENAREF) d’où je suis sortie nantie de mon diplôme en 2021. C’est en 2022 que j’ai démarré le cabinet TehiConsult.
Nous intervenons dans le domaine du conseil juridique et fiscal, la gestion de la relation banque entreprise, la formation sur les thématiques de la banque et de la fiscalité et dans l’accompagnement dans la gestion des petites et moyennes entreprises.
De votre expérience, quelles sont les compétences qu’il faut pour pouvoir faire du conseil juridique et fiscal ?
Pour pouvoir faire du conseil juridique et fiscal, il faut bien évidemment la formation de base en droit et en fiscalité. Au-delà de cela, il faut des compétences personnelles, notamment la rigueur, la persévérance dans l’actualisation des connaissances parce que le domaine du droit et de la fiscalité sont des domaines très évolutifs.
Pour accéder et se maintenir sur le marché du conseil juridique et fiscal. Iil faut de la rigueur et de la constance dans la qualité des prestations offertes aux partenaires.
Rencontrez-vous des difficultés dans ce domaine liées au fait que vous soyez une femme ?
Ça va peut-être vous sembler curieux, mais personnellement, je dirais non. Y a un adage populaire qui dit, “ on t’achète au prix auquel tu te vends”. Tant que l’on reste professionnel, même le plus audacieux hésite à s’avancer dans des propositions indécentes. Les difficultés que j’ai pour l’accès au marché sont par conséquent les mêmes que celles rencontrées par les hommes : la morosité des affaires au vu du contexte socioéconomique et d’insécurité que traverse notre pays. Mais j’ai foi que ce sera très bientôt un vilain souvenir.
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Est-ce que les entreprises comprennent l’importance de l’accompagnement et font confiance à des structures comme la votre ?
Il faut analyser la question sous deux angles.
Les grandes entreprises connaissent bien l’importance et les enjeux derrière le conseil juridique et fiscal et y recourent. En revanche, les PME sont moins sensibilisées. Elles n’y recourent malheureusement qu’en cas de difficultés et c’est généralement tard et plus coûteux pour elles. C’est le lieu pour moi de lancer un appel à l’endroit des petites et moyennes entreprises pour leur dire l’importance de se faire accompagner parce que cela prévient des problèmes éventuels qui peuvent subvenir dans le futur. Payer un conseil permanent leur reviendra incontestablement moins cher, que d’attendre de se retrouver en situation irrégulière pour recourir à un conseil.
Quels types de problèmes rencontrent en général les entreprises, surtout dans le domaine fiscal et juridique ?
C’est d’abord l’ignorance des enjeux du métier de conseil d’une façon général. Les entreprises sont plus focus sur leur corps de métier que sur les services supports qui leur permettent de sécuriser leur corps de métier. Aussi, on verra qu’une infime partie de nos entreprises ont des conseils permanents.
Sur le plan macro, j’indexe l’absence d’un Ordre pour contrôler le secteur de la fiscalité. Tout le monde se dit aujourd’hui expert fiscal sans aucun contrôle.
Je profite donc de votre micro pour faire un plaidoyer à l’égard de l’État afin que l’association des fiscalistes soit formalisée en Ordre formel des fiscalistes à côté de l’Ordre des experts comptables, de l’Ordre des avocats, de l’Ordre des notaires… Il faut que l’on retienne que le conseil fiscal est un métier à part entière et que l’on puisse lui donner sa place dans l’économie, tout comme on donne la place à d’autres fonctions.
Quels sont vos projets pour développer vos compétences dans le domaine de la fiscalité et du conseil juridique ?
C’est essentiellement la formation continue, les certifications, le recyclage constant et je me mets au diapason de l’évolution des textes.
Avez-vous des conseils à donner à des étudiants ou des jeunes professionnels qui souhaite embrasser une carrière similaire à la votre ?
C’est un mot d’encouragement à l’endroit des jeunes qui ont envie d’entreprendre. L’État seul ne peut pas tout faire. Il faut oser. Les débuts vont être évidemment difficiles, mais toutes les grandes entreprises sont passées par là.
Est-ce que vous avez quelque chose à ajouter ?
Je voudrais m’adresser à particulièrement à la gent féminine parce que l’on constate que dans notre domaine, il y a peu de femmes. Je me souviens qu’à l’ENAREF j’étais la seule dame dans ma classe. Ce sont des métiers que les femmes hésitent à embrasser, alors qu’il est scientifiquement démontré que les femmes ont les mêmes capacités que les hommes. N’hésitez donc pas à vous lancer mes sœurs.
Mon mot de fin est une sensibilisation à l’égard des PME notamment, afin qu’elles mesurent l’importance du métier de conseil juridique et fiscal pour la sécurisation de leurs transactions et la prévention des risques.
Farida Thiombiano
Lefaso.net