Politique

Vie constitutionnelle : « Toutes les crises au Burkina n’ont jamais eu de solutions par les institutions de la République », fait observer Luc Marius Ibriga

La loi fondamentale du Burkina a atteint un record de longévité de 30 ans, le 2 juin 2021. Moment propice de réflexions pour la Société burkinabè de droit constitutionnel (SBDC) qui a animé, ce samedi 19 juin 2021 à Ouagadougou, un panel sur cette Constitution de la IVe République.

« 30 ans de la Constitution burkinabè du 2 juin 1991 : acquis et perspectives ». C’est autour de ce thème central que la Société burkinabè du droit constitutionnel (SBDC) a convié à un regard rétrospectif et prospectif, avec pour visée de bâtir un avenir radieux.

Pour camper le décor des échanges avec les nombreux participants au panel, cinq communications été livrées par Me Halidou Ouédraogo, président de la commission constitutionnelle de la Ve République ; Moctar Tall, membre du Conseil constitutionnel, enseignant-chercheur à la retraite (représentant du président du Conseil constitutionnel, parrain du panel) ; Dr Luc Marius Ibriga, enseignant-chercheur de droit public, contrôleur général d’Etat de l’Autorité supérieure de Contrôle d’Etat et de lutte contre la Corruption (ASCE-LC) ; Dr Abdoul Karim Saïdou, analyste politique, et Pr Abdoulaye Soma, constitutionnaliste, ancien président de la SBDC.

La modération a été assurée par Dr Vincent Zakané, ancien ministre de la Fonction publique, du Travail et de la Sécurité sociale, pour qui d’ailleurs, cette réflexion arrive à point nommé, car invitant à s’interroger sur un parcours qui part de juin 91.

La salle 1 de l’UFR/SJP de l’Université Thomas Sankara a fait le plein en cet après-midi

Ouvrant le bal des interventions, Me Halidou Ouédraogo est revenu sur quelques péripéties de l’avènement de la Constitution du 2 juin 91 (en tant qu’également acteur au processus). Avant d’entrer dans le vif de son sujet, l’ancien président du Mouvement burkinabè des droits de l’Homme et des peuples (MBDHP) a rappelé les trois Républiques précédentes (1960-1966 ; 1970-1974 ; 1977-1980). La IVe République est celle-là qui bat donc le record de longévité.

Me Halidou Ouédraogo a également indiqué que la Constitution du 2 juin 1991 (dont les origines remontent à 90) a été adoptée à 93% des votants, avec un taux d’abstention atteignant 51%. « Mais nous en étions fiers », se souvient-il, affirmant que la Constitution a beaucoup plus d’avantages que d’inconvénients. Décrivant le contexte dans lequel le projet de son écriture a été lancé, Me Ouédraogo se rappelle qu’après six mois de travaux effectués par la commission constitutionnelle de 104 membres, l’avant-projet a été remis au président du Faso, qui l’a ensuite soumis à une assise nationale en octobre 1990 pour amendements.

La Constitution de juin 91 a connu neuf révisions

A en croire Halidou Ouédraogo, le président du Faso, Blaise Compaoré, avait souhaité que la Constitution s’inspire de la Révolution, en tirant leçons des forces et des insuffisances.

Adoptée le 2 juin 1991, puis promulguée le 11 juin, la Constitution de la IVe République a été révisée neuf fois : 1997, 2000, 2002, 2009, 2012 (trois fois), 2013 et 2015. Toutes ces révisions l’ont été par voie parlementaire et à des fins partisanes, relève Me Halidou Ouédraogo.

Le président de la SBDC, Martial Zongo, donnant le ton du panel.

La nouvelle Constitution, celle de la Ve République en gestation, se veut donc l’expression d’une nouvelle gouvernance, symbolisant le ‘’plus rien ne sera comme avant », confie le président de la commission constitutionnelle de la Ve République, Halidou Ouédraogo.

Il explique également que la nouvelle Constitution se caractérise par l’équilibre des pouvoirs et la réédition des comptes, l’abolition de la peine de mort, l’affirmation des droits sociaux de base, l’institutionnalisation de la saisine du Conseil constitutionnel par le citoyen (saisine directe), la réaffirmation du droit à la désobéissance civile, l’admission des candidatures indépendantes aux élections législatives et municipales (effective depuis 2015, ndlr), le prolongement de la compétence de la Cour des comptes au contrôle de l’Assemblée nationale, etc.

A sa suite, le contrôleur général d’Etat, Luc Marius Ibriga. Celui-ci a interrogé le rôle de la Constitution dans les crises socio-politiques de 1991 à 2021. En propos liminaires, l’enseignant de l’introduction de l’étude de droit (IED) a souligné que pour le juriste, le conflit est normal ; sans conflit, il n’y a pas de droit. Il est d’autant plus normal quand il s’agit de la gestion du pouvoir. D’où l’instauration de règles dans la gestion du pouvoir. « Le droit constitutionnel, c’est la politique saisie par le droit », paraphrase Dr Luc Marius Ibriga.

Après avoir égrené quelques crises socio-politiques sous la IVe République (crise consécutive à l’assassinat de Norbert Zongo, émeutes dans l’affaire dite des casques, les émeutes de la faim, la crise entre policiers et militaires, la mutinerie de 2011, l’insurrection populaire, le putsch de septembre 2015, les attaques terroristes, etc.), le communicateur a fait observer qu’aucune de celles-ci n’a pu être prévenue ou résolue par la Constitution à travers les institutions de la République.

‘’Une Constitution qui a fait ses preuves, mais aussi montré ses insuffisances »

Pourtant, la Loi fondamentale prévoit des mécanismes de résolution de crises, mais ils se sont révélés inefficaces. « Toutes les crises au Burkina n’ont jamais eu de solutions par les institutions de la République », souligne-t-il. Il en veut pour illustration que la crise née du drame de Sapouy (assassinat de Norbert Zongo) s’est terminée devant le Collège des sages ; l’insurrection populaire, le putsch de septembre 2015, etc., ont trouvé dénouement devant le Mogho Naaba. Pour le spécialiste, cela montre que la Constitution n’est pas totalement en phase avec les réalités.

D.g. vers la d. : Me Halidou Ouédraogo, Vincent Zakané, Moctar Tall, Luc Marius Ibriga et Abdoul Karim Saïdou.

De son avis, cette réalité explique aussi que la Constitution de juin 91 est une transition par le haut (transition imposée) et qu’elle a un faible ancrage axiologique (les valeurs contenues dans la Constitution ne sont pas en phase avec celles de la société).

C’est dans la même attention soutenue du public, constitué en grande partie d’étudiants, que les autres panélistes, l’ex-directeur général de l’Ecole nationale d’Administration et de la Magistrature (ENAM), Moctar Tall qui a scruté l’évolution de la protection des droits fondamentaux sous la IVe République ; Dr Abdoul Karim Saïdou, et Pr Abdoulaye Soma ont déroulé leur exposé.

Cette étape des communications a fait place aux réactions des participants, entre questions, commentaires et autres points de vue.

C’est certainement dans un sentiment de mission accomplie que le président de la SBDC, Martial Zongo, pour qui, la Constitution a fait ses preuves, mais aussi montré ses insuffisances, a clos le panel.

Rappelons qu’au moment où se tient le 30e anniversaire de la Constitution du 2 juin 91, attend l’avant-projet de la Constitution de la Ve République, remis au président du Faso en novembre 2017. Alors candidat à la présidentielle de nombre 2015, Roch Kaboré avait fait la promesse d’une nouvelle Constitution, dès qu’il accède au pouvoir.

O.H.L
Lefaso.net

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