Laisse-moi ôter une paille de ton œil… !
L’Afrique est un continent extraordinaire, dirigé pour la plupart des cas par des politiciens extraordinaires aux talents de magiciens. L’opposant farouche, le radical sans concession ni compromission, celui qui ne jurait que par et pour les intérêts du peuple ; une fois au pouvoir, il répétera les mêmes déboires dont il accusait son prédécesseur. Après son premier mandat, il se prépare à violer la Constitution sans la moindre protection juridique avec tous les risques d’affections sociopolitiques. La Cour constitutionnelle deviendra son « salon prostitutionnel » où d’impénitents caciques s’adonneront à la « débauche institutionnelle ».
Il tiendra en laisse, la magistrature par le bout de la robe, pour qu’elle n’aille pas fouiner dans les poubelles de ses forfaitures. Puis il signera une « armistice » avec la Justice factice pour mettre en stand-by ses bévues et légitimer ses grands écarts de funambules politiques. Il clamera haut et fort l’indépendance de la Justice mais nuitamment, ce sont les mêmes acteurs de la même Justice qui lui feront la courbette sous la couette, parce que de toute façon, c’est lui qui les a directement ou indirectement nommés. A la tête de son armée, il nommera ou fera nommer des hommes de main qu’il engraissera dans le creux douillet de sa main pour les empêcher de prendre les choses en main. Sa sécurité sera un véritable cordon ombilical tribal ou un tas de mercenaires achetés ou livrés et prêts à tirer à balle réelle sur les enfants de son propre pays. Au parlement, il n’y a aucun tournant, point de tourment ; il n’a pas que la majorité des députés ; il a la totalité d’un hémicycle presque sans opposition et à peine audible pour contredire et servir de baromètre de la démocratie. Et parlant de démocratie, il n’en existe que sur papier et dans les discours.
A la veille des élections, il jouera sur la carte de la faim et de la pauvreté pour promouvoir la mendicité autour de la mouvance présidentielle, goinfrer « le bétail électoral » et amasser plus de voix que de votants et d’inscrits sur la liste. Vers la fin du dernier mandat légal, il achètera ses quelques opposants indigents qu’il nommera ministres et contraindra les durs à cuire au silence ou à l’exil. Et il modifiera la Constitution avec des arguments en béton, mais mal mélangés et dosés pour tenir les trépieds de son projet anticonstitutionnel. Il jettera des broutilles dans la fourmilière d’une vile société civile pour mener campagne et justifier l’ « incontournabilité » de son troisième mandat. Le peuple mécontent peut sortir marcher sans casser ; on tirera sur lui à balle réelle en cas de débordement. Et la Cour dite constitutionnelle validera la candidature en quadrature du président le plus indispensable de l’histoire. Et l’organe électoral comme promis et sur fond de déni se laissera rouler dans la farine pour livrer le pain béni au boulanger de tous les dangers. Et face au peuple meurtri et abattu, un beau petit matin, le destin frappe à la porte d’un palais présidentiel à feu et à sang. L’homme fort d’antan et de naguère ne vaut même plus le plus lambda des citoyens de la rue. Les images hideuses du dictateur aux abois feront le tour du monde ; sa mine renfrognée et son état pitoyable de faux malade seront brandis comme un trophée de guerre sous les vivats des badauds.
Et c’est à ce moment précis, que des organisations interafricaines et internationales élèvent de la voix au firmament pour condamner « fermement » la « prise de pouvoir par les armes » en oubliant le maintien au pouvoir par les armes. Elles demandent la « libération immédiate et sans condition » du président en oubliant les prisonniers politiques du même président, qui croupissent depuis des années derrière les barreaux des prisons du baron. Elles exigent même le « respect de l’intégrité physique » du président déchu en oubliant toutes ces victimes tombées sous le coup des balles assassines du régime du président décadent. Elles manquent de pudeur et de décence pour exiger le « retour à l’ordre constitutionnel sous peine de sanction » comme si cet ordre « constitutionnel » n’était pas le fruit d’un viol du même nom, un viol collectif perpétré en plein jour et de plein droit avec la complicité d’un gotha de constitutionnalistes aguerris et le cynisme d’une bande de bénis oui oui.
Elles suspendent le pays de leurs instances comme si cette suspension suspendait de facto la joie des citoyens libérés d’une « démocrature » cautionnée sous cape par des organisations de chefs d’Etats qui ne réagissent que lorsqu’un seul cheveu d’un des leurs est menacé. Pendant ce temps des têtes entières d’innocents sont tombées sous le règne du déchu. On peut organiser d’urgence un sommet extraordinaire sur la situation, mais on a été incapable de tenir la plus petite des réunions sur les petits malaises qui ont servi de levure à la pâte du putsch. Un branle-le-bas de débats diplomatiques s’ensuit, les pressions fusent de part et d’autre, mais en vérité, c’est le syndicat des démocrates qui se gratte, s’excite et se précipite pour exorciser le mal qui incite et suscite.
Ici la poule qui regarde ses poussins avaler à plein gosier les abats de leur semblable sait très bien que son tour arrive ! « Laisse-moi ôter une paille de ton œil, toi qui as une poutre dans le tien ? Hypocrite, ôte premièrement la poutre de ton œil, et alors tu verras comment ôter la paille de l’œil de ton frère », ainsi jaillissent les éclaboussures des Ecritures, sans rature ni bavure ! Mais entre nous, à quoi sert de condamner, quand on est déjà damné ?
Clément ZONGO
clmentzongo@yahoo.fr
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