Djakaridia Siribié, journaliste, à propos de Ladji Yôrô : « Il y avait toujours, dans son sac, un drapeau du Burkina »
Auteur d’un grand reportage sur les VDP du Loroum, le journaliste Djakaridia Siribié des Editions Sidwaya a passé près d’une semaine avec Ladji Yôrô et ses hommes. Il revient, dans cette interview, sur les péripéties de ce séjour et de sa rencontre avec l’« intrépide guerrier ».
Sidwaya (S) : Dites-nous dans quelles conditions, ce reportage a été réalisé ?
Djakaridia Siribié (D.S.) : Notre objectif en nous rendant à Sollé était de partager le quotidien des Volontaires pour la défense de la patrie (VDP) au front. Il s’agissait surtout, pour nous, de nous enquérir des conditions dans lesquelles ils faisaient face aux groupes armés terroristes, de leur niveau d’engagement, d’équipements et de savoir s’ils étaient bien pris en charge et de faire part de leur contribution à la lutte contre le terrorisme aux côtés des Forces de défense et de sécurité. Le choix du Lorum s’est imposé par le fait que c’est une zone assez reculée. De Sollé, nous sommes à moins de 20 km du Mali. Il y a aussi le fait que les VDP de cette zone avaient beaucoup fait parler d’eux sur les réseaux sociaux. Sur place, nous avons pu effectivement nous rendre compte de leur immense contribution à apporter une certaine quiétude aux populations et surtout de l’espoir qu’ils représentaient, même s’ils travaillaient dans des conditions précaires, avec des armes peu adaptées à la situation et insuffisantes et qu’ils avaient souvent du mal à joindre les deux bouts. Il faut rappeler que la plupart sont des paysans, des éleveurs et des commerçants qui ont tout laissé pour se consacrer à cette lutte
S : Quelle a été l’impression qu’il vous a laissé lorsque vous l’avez rencontré pour la première fois ?
D. S. : C’est l’un de ses hommes de main qui m’a conduit de Titao à Sollé. Nous sommes arrivés autour de 9h. Il devait monter la garde à 6h. Donc il m’a laissé devant une boutique et c’est Ladji Yôrô, lui-même qui est venu me chercher. J’ai rencontré ce jour-là un homme humble, au contact facile, avec qui j’ai beaucoup échangé avant de savoir que c’était lui. Il savait se fondre dans la masse, comme on le dit. J’ai vu quelqu’un de disponible et à l’écoute de ses hommes. Il rendait visite aux familles de ses hommes au front, pour échanger avec elles, prendre de leurs nouvelles.
S : Pensiez-vous à ce moment-là avoir affaire à un homme désespéré ou prêt à mourir pour son pays ?
D. S. : J’ai eu affaire à un homme de valeur et de conviction, convaincu que le Burkina ne tombera jamais sous le joug des terroristes. Pour lui, la lutte contre le terrorisme était d’abord une question de volonté politique. Il a salué l’option d’engager des civils, parce que, selon lui, ils ont une bonne maîtrise du terrain et n’ont d’autres choix que de se battre pour leur patrie. A son sens, si les VDP étaient bien équipés et leurs familles bien accompagnées et avaient une certaine marge de manœuvre, la fin du terrorisme au Burkina ne serait qu’une question de mois. D’ailleurs, il avait commencé à réfléchir à ce qu’il ferait une fois cette histoire terminée. Soumaïla Ganamé était basé au Mali, dans le village de Yôrô, où il gagnait bien sa vie. La seule raison pour laquelle il est rentré au Burkina, c’est pour défendre sa patrie. Dans son sac qu’il portait en bandoulière, il y avait toujours un drapeau du Burkina. Sa conviction était que ni lui, ni ses parents ne seront soumis aux terroristes. Son engagement dans la lutte contre le terrorisme était loin d’être une question d’argent ou de gloire. Il aimait son pays et était prêt à lui donner sa vie. C’est d’ailleurs ce qu’il a fait.
S : A-t-il partagé des confidences avec vous ?
D. S. : Il faut dire qu’il a été mon guide à Sollé, durant tout mon séjour. A mon retour, nous avons gardé de bons rapports. Il me faisait part de ses inquiétudes, au vu de la montée en puissance des groupes armés dans la région du Nord. Il craignait effectivement qu’il y ait des infiltrés et/ou des traitres dans leurs rangs. Il faut dire que l’homme a échappé à au moins quatre embuscades de juin 2020 au 23 décembre 2021. Il m’a fait savoir que d’autres étaient des guets-apens avec des complicités internes. Il estime qu’il fallait nettoyer l’écurie. L’autre sujet de nos conversations était l’équipement des VDP. Ses hommes ont eu des dotations en moyens de déplacement mais l’armement restait un problème. Il y a aussi la prise en charge des VDP et celle de leurs familles. Il ne comprenait pas que ses hommes se battent pour le pays et que leurs familles meurent de faim. Cela le rongeait énormément.
S : Avez-vous quelques anecdotes à l’issue de cette rencontre de l’homme et ses compagnons ?
D. S. : Ce qui m’a le plus marqué chez les VDP de Sollé, c’est leur organisation. Chacun a un rôle à jouer. Chacun a son mot à dire. Au Quartier général (QG) des VDP à Sollé, il était difficile de savoir qui était le chef. Souvent, vous trouverez Ladji assis sur un banc ou à même le sol, comme tout le monde. Il n’y avait pas de différence. Je pense que tout le monde se sentait écouté et important, même si la dernière décision revenait à Ladji Yôrô. Cela fait qu’il n’y avait pas de barrière entre eux. Ainsi, tout le monde était engagé. L’autre aspect qui m’a touché, c’est le fait qu’il partait au front avec eux. J’ai pu le constater lors d’une patrouille au cours de laquelle il était devant ses hommes. Ce jour-là, il m’a dit que c’était la meilleure manière de montrer la voie à ses hommes. Il n’était pas seulement un donneur d’ordre, il était un commandant en chef. Un autre fait qui a retenu mon attention, c’est que Sollé était devenu un centre de formation pour les VDP des autres localités du pays. J’ai rencontré un responsable des VDP d’un village lointain, venu s’enquérir des conditions et de la disponibilité de Yôrô à les former.
S : Quel souvenir gardez-vous au final de cet intrépide soldat que le Burkina pleure ?
D. S. : Je dirais, un patriote qui s’est battu et est mort pour sa patrie. Il m’a dit exactement ceci : « Si je dois mourir dans cette lutte, autant que ce soit au front, en défendant ma patrie ». Cela en dit long sur son patriotisme.
S : La lutte contre le terrorisme va-t-elle, à votre avis, prendre un coup sérieux ou la relève est-elle assurée ?
D. S. : La lutte prendra d’une certaine manière un sérieux coup. Ladji Yôrô était un symbole et les symboles sont sacrés. Il était le visage de la résistance des VDP, celui de la résilience des populations et celui de l’espoir de tout le Lorum. C’est un pilier qui s’effondre, en termes de mobilisation et de galvanisation des hommes. Grâce à lui, de nombreux jeunes ont rejoint la lutte. Il faut dire aussi qu’il était un élément important du dispositif de renseignement du pays dans la zone. C’est une grosse perte. J’ai rappelé plusieurs fois la très bonne organisation des VDP du Loroum. Ladji n’était pas le chef mais plutôt le chef des opérations, le commandant de la troupe. Donc on ne peut qu’espérer que le « nouveau chef » maintienne la flamme de l’engagement des jeunes.
Interview réalisée par
W. Aubin NANA
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