Economie

UEMOA : 30 ans d’intégration résiliente face aux défis mondiaux

Lors de la session de sensibilisation des journalistes des États membres de l’UEMOA, le Dr Souleymane Diarra, directeur de la stratégie et de l’évaluation à l’UEMOA, a présenté une communication intitulée « UEMOA, 30 ans : une expérience d’intégration résiliente face aux chocs exogènes ». Son exposé s’est articulé autour de cinq principaux points, permettant d’explorer en profondeur les réalisations de l’Union depuis sa création et les défis à venir.

Le Dr Souleymane Diarra a introduit sa communication sur la capitalisation des 30 dernières années de l’UEMOA en définissant les concepts essentiels à la compréhension de son exposé. Il a notamment explicité des termes fondamentaux tels que le modèle économique, la résilience, et les chocs exogènes.

Selon le Dr Souleymane Diarra, le modèle économique de l’UEMOA repose sur un système structuré autour de plusieurs institutions clés, à commencer par la Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO), responsable de la politique monétaire de l’Union. Il souligne également le rôle essentiel de la Banque ouest-africaine de développement (BOAD), qui finance et exécute les projets de développement dans la région. En outre, l’Autorité des marchés financiers de l’UMOA (AMF-UMOA), renchérit-il, supervise le marché financier régional, ayant pour mission de protéger l’épargne investie dans les valeurs mobilières et autres placements ouverts au public dans l’ensemble des États membres de l’Union. Pour finir, Dr Diarra mentionne que la Commission, l’organe exécutif de l’UEMOA, veille à la convergence des performances et des politiques économiques des États membres par l’institution d’une procédure de surveillance multilatérale et par la coordination des politiques sectorielles.

Les chocs exogènes

Le Dr Souleymane Diarra définit la résilience comme la capacité d’un écosystème à retrouver son fonctionnement normal après une perturbation ou un choc exogène. Il précise que ce dernier correspond à un événement soudain et imprévisible qui perturbe l’équilibre d’une économie. « Cela peut inclure des crises, des catastrophes naturelles ou industrielles, ou d’autres formes de violence imprévues », a-t-il expliqué. Pour illustrer ses propos, il a cité plusieurs exemples de chocs exogènes ayant affecté l’économie de l’UEMOA, tels que la crise économique de 2008, la crise sécuritaire, la pandémie de COVID-19, les bouleversements politiques dans l’Union liés aux changements de l’ordre constitutionnel dans certains pays, ainsi que la crise russo-ukrainienne et le conflit israélo-palestinien.

« La crise russo-ukrainienne a entraîné une grande inflation dans la zone UEMOA », Dr Souleymane Diarra, directeur de la stratégie et de l’évaluation à l’UEMOA

Le Dr Souleymane Diarra résume les 30 années d’existence de l’UEMOA en trois phases distinctes : « l’âge du non » de 1994 à 2000, « l’âge d’or » de 2001 à 2011, et « l’âge à définir » de 2012 à 2024, en raison des perturbations survenues durant cette dernière période. « De 1994 à 2000, on peut comparer cette phase à « l’âge du non » chez un enfant, lorsque celui-ci commence à devenir autonome et refuse systématiquement les demandes de sa mère », soutient-il. Cette période correspond, par analogie, au moment où la Commission de l’UEMOA commençait à s’émanciper. En ce qui concerne « l’âge d’or » de 2001 à 2011, il le qualifie de période de prospérité, marquée par de nombreux projets et une vague d’espoir. « Étudiant à l’époque, nous rêvions de l’UEMOA », confie-t-il.

Pour analyser la phase de 2012 à 2024, qu’il qualifie « d’âge à définir », le Dr Diarra a utilisé une méthodologie reposant sur plusieurs indicateurs, tels que le taux de croissance économique, l’inflation, le taux de change au sein de l’Union, la situation des finances publiques, le commerce inter-régional, la transformation structurelle et les investissements. « Si le taux de change intracommunautaire entre nos pays est élevé, cela signifierait que nous sommes véritablement intégrés », a-t-il commenté.

Performance économique de l’UEMOA sur les dix dernières années

Face aux chocs exogènes précédemment évoqués, le Dr Souleymane Diarra a présenté une analyse comparative de la croissance économique mondiale au cours des dix dernières années (2012-2022). Il a souligné qu’en Afrique subsaharienne, la croissance économique a atteint 3,26 %, contre 1,18 % dans la zone Euro et 5,75 % dans la zone UEMOA. La croissance mondiale, quant à elle, s’est établie à 3,12 %, avec un taux de 1,74 % pour les économies avancées. Aux fins de renforcer son analyse, Dr Diarra a mis en lumière la situation en 2020, année où presque tous les États du monde ont enregistré des taux de croissance négatifs. « Seule la zone UEMOA a réussi à maintenir un taux de croissance positif, estimé à 1,41 % », a-t-il souligné, illustrant ainsi la résilience de cette région face aux crises mondiales.

Croissance économique comparée à travers le monde, source : Perspectives économiques, Banque mondiale, juin 2023

De l’avis du Dr Souleymane Diarra, l’économie mondiale a connu une récession en 2020, avec une contraction de -2,8 %, avant de rebondir à 6,33 % en 2021, puis de ralentir à 3,48 % en 2022. Elle a connu encore une variation en passant de 3 % en 2023 et à 2,9 % en 2024. « En 2020, la récession a également touché l’Afrique subsaharienne (-1,59 %), le Nigéria (-1,8 %), et l’Afrique du Sud (-6,3 %). Au Ghana, la croissance s’est maintenue à 0,5 %, tandis qu’elle atteignait 1,4 % dans la zone UEMOA », a-t-il montré.

En ce qui concerne les pays du Burkina Faso, du Mali et du Niger, confrontés au terrorisme, Dr Diarra, directeur de la stratégie et de l’évaluation à l’UEMOA, a mis en exergue leur résilience en matière de création de richesse, à l’exception du Mali en 2012 et 2022.

L’inflation dans l’espace UEMOA

Concernant l’inflation, le Dr Souleymane Diarra a révélé qu’au cours des onze dernières années, la zone UEMOA a connu une fluctuation de son taux d’inflation, sans jamais atteindre les deux chiffres. Il attribue en partie cette stabilité à la parité fixe entre le franc CFA et l’euro. En 2022, l’inflation dans la zone UEMOA s’est établie à 7,4 %, tandis que des pays voisins comme le Ghana et le Nigéria ont enregistré des taux nettement plus élevés, respectivement de 31,25 % et 18,84 %.

Taux d’inflation de l’Union, source : BCEAO et le Fonds monétaire international (FMI) avril 2023

Ces taux, selon le Dr Souleymane Diarra, s’expliquent principalement par l’impact de la pandémie de COVID-19 en 2020 et la crise russo-ukrainienne en février 2022. En analysant la période 2012-2022, il relève que l’inflation mondiale moyenne annuelle s’est établie à 3,95 %. Plus précisément, l’inflation a été de 1,8 % dans la zone UEMOA, 1,86 % dans la zone Euro, 1,99 % dans les économies avancées, et 9,21 % en Afrique subsaharienne.

Dr Diarra revient également sur l’inflation de 2008 pour illustrer la résilience de l’UEMOA face aux chocs exogènes. « En 2008, en raison de la crise économique mondiale, l’inflation dans la zone UEMOA s’élevait à 7,4 %, comparativement à des taux plus élevés de 11,58 % au Nigéria et 16,49 % au Ghana. À l’échelle mondiale, l’inflation atteignait alors 8,9 % », a-t-il précisé, mettant en lumière la capacité de l’Union à surmonter ces crises.

Dr Souleymane Diarra a affirmé que le niveau d’inflation dans les pays comme le Burkina Faso, le Mali et le Niger, qui subissent directement les conséquences de la crise sécuritaire, a été globalement maîtrisé, respectant très souvent ainsi, le critère de convergence de l’UEMOA avec un taux inférieur ou égal à 3 %. Toutefois, il a indiqué que les années 2012 et 2022 ont marqué des périodes où l’inflation n’a pas pu être contenue dans ces trois pays. Pour lui, cette situation est attribuable à plusieurs facteurs, notamment les aléas pluviométriques, les crises sécuritaires et géopolitiques, la pandémie de COVID-19, ainsi que la guerre russo-ukrainienne.

Évolution du taux de change de l’Union par rapport au dollar et au yuan, source : BCEAO

Concernant le taux de change, Dr Souleymane Diarra a noté que les parités du franc CFA par rapport au dollar américain et à la monnaie chinoise sont restées relativement stables au fil des années. Toutefois, la situation des finances publiques au sein de l’Union reste marquée par des difficultés persistantes, notamment en matière de maîtrise des déficits budgétaires et de gestion de la dette, des problèmes aggravés par la crise sanitaire liée au COVID-19, l’insécurité dans certains États membres, et les répercussions de la guerre russo-ukrainienne.

Selon l’expert, l’évolution moyenne des indicateurs macroéconomiques des États membres entre 2015 et 2023 montre qu’aucun pays n’a respecté le critère des recettes fiscales totales. En ce qui concerne le critère relatif aux salaires et traitements en pourcentage des recettes fiscales, seul le Sénégal a été en conformité.
« On observe également une rapide érosion des marges de manœuvre budgétaires et un accroissement des vulnérabilités liées à la dette publique des États membres. Il est important de noter que les critères de convergence ont été suspendus, depuis la crise de COVID-19, avec une moyenne du solde budgétaire global dépassant le seuil de -3 % dans tous les pays, principalement en raison de l’insuffisance des recettes (un défi majeur à relever) et de l’augmentation des dépenses de sécurité », a fait remarquer Dr Diarra.

Évolution moyenne des indicateurs macroéconomiques sur la période 2015-2023 par pays

Les échanges intracommunautaires

Au titre des échanges intracommunautaires, Dr Diarra observe une augmentation régulière des flux commerciaux au sein de l’UEMOA au cours des deux dernières décennies. En 2021, ces échanges ont atteint plus de 3 000 milliards de francs CFA. Cependant, la part des échanges intracommunautaires dans le commerce total de l’Union a diminué depuis 2008. Cette tendance s’explique principalement par la flambée des prix des matières premières, telles que le pétrole brut, l’or et l’uranium, qui ne font pas partie des produits échangés au sein de l’Union.

Selon Dr Diarra, le commerce est au cœur de l’intégration économique. Il plaide pour plus de transformation des produits d’exportation et de diversification des échanges entre pays membres, comme le Mali et le Burkina Faso avec la Côte d’Ivoire, afin de renforcer les liens commerciaux et d’éviter toute rupture économique entre les États.

Du côté des exportations, l’Union reste majoritairement tournée vers l’exportation de matières premières, avec une hausse notable des produits miniers au cours de la dernière décennie, due à une augmentation de la production. En revanche, les importations de l’Union sont principalement composées de produits énergétiques et alimentaires. Malgré un potentiel agricole considérable, l’UEMOA demeure largement dépendante de l’extérieur. La facture des importations a explosé au cours des dix dernières années, passant de 10 000 milliards de francs CFA en 2011 à plus de 25 000 milliards de francs CFA en 2021, soit plus du double.

« En termes d’importation et d’exportation, on est plus orienté ailleurs qu’entre nous. Ce qui n’est pas normal », Dr Souleymane Diarra

En matière de transformation structurelle, les données disponibles révèlent que la structure des économies de l’UEMOA a peu évolué au cours des dix dernières années. Le secteur tertiaire demeure le principal moteur de la création de richesse, représentant plus de 50% du PIB de l’Union. Le secteur secondaire a connu une progression modeste, avec une hausse de 0,11 point, tandis que la part du secteur primaire a diminué de 3,71 points entre 2011 et 2021.

En ce qui concerne l’investissement dans l’Union, Dr Diarra souligne que l’investissement privé est la principale composante, représentant plus des deux tiers des investissements totaux de l’UEMOA. Le taux d’investissement privé a enregistré une progression significative entre 2001 et 2021, passant de 10,29% à 17,33%. Cette augmentation résulte de plusieurs facteurs, notamment l’amélioration générale du climat des affaires, l’augmentation des crédits accordés aux entreprises du secteur productif, qui sont passés de 3 393,6 milliards de francs CFA en 2010, à 10 913 milliards en 2021, ainsi que la hausse des investissements directs étrangers, qui se sont élevés à 20 162,5 milliards de francs CFA en 2021, contre 1 085,3 milliards en 2010. Près de 49 % de ces investissements étaient destinés à l’industrie extractive.

Dr Diarra conclut que la période 2012-2024 peut être qualifiée « d’âge de la résilience ». Malgré les nombreux chocs économiques et sociaux, l’UEMOA a su maintenir des performances notables en matière d’inflation, de croissance, et d’autres indicateurs macroéconomiques, démontrant ainsi sa capacité à s’adapter et à surmonter les crises.

Analyse SWOT du modèle économique actuel

Pour analyser le modèle économique de l’UEMOA, le Dr Diarra a fait recours à l’outil SWOT, permettant de mettre en lumière les forces, faiblesses, opportunités et menaces de l’espace communautaire. Parmi les forces, outre l’adoption d’une monnaie commune, qui a favorisé la stabilité monétaire et facilité les échanges commerciaux au sein de l’Union, Dr Diarra souligne l’abondance des ressources agricoles et minières, ainsi qu’une main-d’œuvre à coût relativement bas.

Cependant, plusieurs faiblesses ont été relevées, notamment l’exploitation insuffisante des richesses minières des États membres, la mise en œuvre limitée des politiques agricoles et industrielles axées sur le développement endogène, et une modernisation incomplète des outils de production, tant agricoles qu’industriels. À cela s’ajoutent la faible digitalisation des services et de l’économie, la transformation encore embryonnaire des produits agricoles et miniers, le manque de main-d’œuvre qualifiée, ainsi que le coût élevé des facteurs de production, tels que l’énergie et le transport.

En termes d’opportunités, Dr Diarra met en exergue les prix élevés des matières premières sur le marché international, l’extension du marché de consommation grâce aux perspectives d’entrée en vigueur de la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAF).

Enfin, pour les menaces, il évoque les risques d’instabilité politique au sein de l’Union, ainsi que les crises sécuritaires et géopolitiques mondiales qui pourraient compromettre le développement économique de la région.

Niveau de transformation structurelle de l’économie

Défis majeurs à relever pour les prochaines années

Le Dr Diarra a mis en évidence plusieurs défis majeurs que l’UEMOA devra surmonter pour consolider son modèle économique et poursuivre son processus d’intégration régionale.

Selon lui, les principaux enjeux des prochaines années incluent, tout d’abord, le renforcement de la convergence et de la stabilité macroéconomique, qui se sont affaiblies depuis le choc provoqué par la pandémie de COVID-19. Il insiste également sur l’importance d’intensifier les efforts pour améliorer l’environnement des affaires.

Un autre défi crucial est la réduction des vulnérabilités externes, notamment par le biais de la transformation accrue des matières premières. De plus, Dr Diarra souligne la nécessité d’accélérer la transformation structurelle des économies. Ce défi est largement traité dans le nouveau Plan stratégique de la Commission à l’horizon 2030 en cours d’élaboration.

À cela s’ajoutent la nécessité d’approfondir le marché financier régional, de développer l’intermédiation financière, ainsi que d’accélérer l’expansion du secteur numérique.

De son point de vue, les principales incertitudes résident dans les aléas climatiques, l’évolution des problèmes sécuritaires au sein de l’Union, ainsi que les dynamiques géopolitiques régionales et internationales, qui pourraient impacter le développement futur de la région.

Recommandations pour le renforcement du modèle économique de l’Union

Pour conclure son exposé, le Dr Diarra a formulé plusieurs recommandations visant à renforcer le modèle économique de l’UEMOA. Il a préconisé à la Commission l’opérationnalisation des stratégies sectorielles pour maximiser l’impact des interventions, ainsi que l’ouverture de chantiers qui mettent en synergie les défis sécuritaires et l’emploi des jeunes. Il a également insisté sur l’importance d’intensifier la mobilisation des ressources extérieures pour financer les projets, de consolider la stabilité du cadre macroéconomique de l’Union, et de contribuer davantage à l’amélioration de la sécurité au sein de la région.

Dr Diarra estime qu’il est crucial de prioriser l’approfondissement de la politique agricole de l’UEMOA, et de promouvoir une digitalisation plus avancée des services publics des États membres.

S’adressant aux États membres, il a souligné la nécessité d’accélérer la transformation des produits locaux afin de créer davantage de valeur ajoutée, de renforcer la transformation structurelle des économies par l’industrialisation, et d’accélérer la digitalisation des services publics. Il a également mis l’accent sur le développement du capital humain, notamment à travers l’emploi des jeunes, ainsi que sur l’amélioration continue du climat des affaires.

En somme, l’intervention du Dr Souleymane Diarra a permis de dresser un bilan des acquis de l’UEMOA au cours des 30 dernières années tout en identifiant des pistes concrètes pour renforcer l’intégration régionale et améliorer le bien-être des populations de l’Union.

Hamed Nanéma
Lefaso.net

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