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Importation illégale de volaille au Centre-Sud : un plomb dans l’aile de la production locale

L’aviculture est développée dans la région du Centre-Sud permettant ainsi à de nombreux éleveurs d’être résilients face à la pauvreté. Mais, ce sous-secteur de l’élevage est confronté à une importation illégale, à grande échelle de volaille et de ses produits dérivés, avec des conséquences négatives sur la production locale, en dépit des actions et des mesures répressives des acteurs pour l’endiguer.

Fati Korabou née Zongo habite au secteur 1 de Pô, dans la province du Nahouri, ville frontalière du Ghana. Passionnée d’élevage, depuis sa tendre enfance, cette mère de six enfants s’est retirée dans les encablures de la ville où elle a érigé sa ferme avicole. Il est 13 heures, en ce début d’après-midi du mercredi 14 juillet 2022, lorsque nous allons à sa rencontre. Sur les lieux, deux maisonnettes et un hangar y sont construits pour la conduite de son activité.

« Au départ, mon mari ne souhaitait pas que je vienne ici. Mais, après, il a compris la justesse de mon choix », confie notre hôte du jour, la cinquantaine révolue. Tout sourire, elle s’empresse de donner la ration alimentaire à ses 300 poussins de race améliorée dans un abri. Quand soudain, le temps devient menaçant. Le regard jaune du soleil s’affaiblit, présageant une forte pluie. En plus des poussins, la ferme de Mme Korabou compte plus de 200 poulets de chair. Elle ambitionne, très prochainement, revendre ceux de l’espèce améliorée car, soutient-elle, ayant atteint l’âge de 3 mois requis. « Mais, nous avons régulièrement des soucis pour écouler ce que nous produisons. Car, les clients préfèrent les poulets congelés importés », fait savoir Fati, tout en s’affairant à assainir les récipients servant à l’abreuvage de sa volaille. Dépitée, la productrice du Nahouri indique être, par moments, rebutée par l’activité qu’elle mène, depuis longtemps, en raison de la morosité du marché. De plus, la concurrence des poulets et des œufs importés, est, à son corps défendant, l’un des défis auquel elle doit faire face dans cette partie du pays. Et, à l’en croire, l’ensemble des aviculteurs du Centre-Sud connaissent les mêmes difficultés. Abraham Congo, pasteur résidant au secteur 7 de la ville de Pô est de ceux-là. « L’homme de Dieu », lui, pratique l’élevage des oies, des canards, des dindons, des cailles et des pintades.

Une concurrence déloyale

Embouchant la même trompette que Fati Korabou, M.Congo estime que l’entrée illicite de volailles aussi bien vivantes que congelées ne facilite guère l’écoulement de sa production. Or, révèle-t-il, d’énormes difficultés telles la cherté de l’alimentation et la précarité des habitats influent déjà sur l’essor de l’activité avicole. La présence des poulets, des poussins et de biens d’autres produits dérivés comme les œufs, les gésiers, etc. sur la place du marché, assure l’éleveur pasteur, crée une concurrence entre les produits locaux et ceux importés. Et cela, déplore-t-il, en défaveur des éleveurs locaux.

Pour Abraham Congo, seul l’accompagnement des autorités permettra aux éleveurs de faire face aux défis liés à l’importation des volailles et ses dérivés.

« La concurrence est évidente. Actuellement, les clients sont en train de se tourner vers ces produits, car étant bon marché. Vu la cherté des produits, on ne peut pas vendre un poulet local à moins de 4 000 FCFA ou 5 000 FCFA. Or, avec 1 500 FCFA ou 2 000F CFA, on peut s’offrir un poulet importé», explique M. Congo. C’est ce qu’attestent, d’ailleurs, de nombreux clients de cette viande dont la qualité est sujette à caution. Sont de ceux-là, Yacouba Djiguemdé, un garagiste de la ville de Pô. Très décomplexé, il confie en être un consommateur, en dépit de tout ce qui se dit. Pour lui, c’est en désespoir de cause que certaines personnes recourent aux poulets importés en raison, notamment, de leurs prix relativement bas. « Si les gens continuent de manger les poulets congelés, même s’ils ne sont pas bons pour la santé, c’est parce ce que leurs prix sont abordables par rapport à nos poulets locaux », argumente t-il. Boukary Nana, habitant de la commune de Manga, lui, pense que le penchant qu’ont les citoyens à consommer les poulets venant d’ailleurs, en plus de son coût accessible, est lié à sa disponibilité sur le marché. « Ces œufs et poulets importés et congelés, on peut les retrouver facilement, en cas de besoin », dit-il. Qu’à cela ne tienne, les acteurs du secteur soupçonnent ces produits aviaires d’être à l’origine de certaines épizooties (ndlr, épidémie qui frappe les animaux).

Les importateurs illégaux ne respectant pas, se désole-t-il, les mesures barrières, notamment le contrôle sanitaire et celles consistant à empêcher la circulation de certains germes pathogènes. Il cite, en exemple, l’Influenza aviaire hautement pathogène(le virus H5N1) qui, selon lui, a créé la désolation chez de nombreux volailleurs. En effet, avant la survenue de la grippe aviaire dans la localité, en 2021, le pasteur Congo dénombrait dans sa ferme plus de 300 têtes, toutes espèces confondues. Malheureusement, dit-il, celles-ci ont entièrement été décimées par la maladie. Ce mal, selon des autorités locales, a touché la quasi-totalité des communes de la province, avec ses conséquences fâcheuses sur les éleveurs. En effet, des pertes financières ont été estimées à des dizaines de millions FCFA. De nombreux aviculteurs, révèle le pasteur, ont presque tout perdu, à la suite de l’apparition de cette épizootie. « Tout ce qui nous est arrivé est lié à ces poulets qui entrent chez nous. Je peux évaluer mes pertes à près de 4 millions FCFA », déclare-t-il. Il ajoute qu’après cette étape difficile, il peine à se relever. Car, aucune disposition n’a été prise par le ministère des Ressources animales et halieutiques pour lui venir en aide.

Des races locales menacées

C’est donc consterné qu’il souhaite, tout comme ses camarades, un accompagnement conséquent afin de pouvoir faire face à la concurrence des produits aviaires importés. « Le fait que nos localités soient inondées de volailles venant d’ailleurs s’est avéré dangereux pour la pratique de notre élevage », se convainc-t-il. Un point de vue que soutient ardemment Hamidou Yigo. Lui aussi est éleveur de volaille dans la commune rurale de Gonboussougou, une localité située à 45 km de Manga, dans la province du Zoundwéogo. Polygame, il dit mener cette activité par passion. Les poules locales, les pintades et les dindons sont ses espèces préférées. Pour ce père de cinq enfants, l’importation des volailles et de ses dérivés est l’un des obstacles réels au développement de la production avicole locale. Les poulets congelés, les poussins et les œufs qui envahissent les marchés de la région, de l’avis de M. Yigo, sont dommageables à la vitalité de l’élevage de volaille. Cette activité illégale, précise-t-il, est la première cause de l’intrusion de la grippe aviaire, apparue pour la première fois dans leur commune le 21 décembre 2021. Parce que ces poulets importés sont moins chers et prisés par les consommateurs au détriment de la production locale, souligne Hamidou Yigo.

« Avec l’importation illégale de la volaille et des produits aviaires, nos éleveurs écoulent difficilement leurs produits parce que bon nombre de consommateurs se rabattent sur ceux importés qui sont nettement moins chers », soutient pour sa part, le directeur provincial en charge des ressources animales du Zoundwéogo, Pierre Claver Hamyabidi Yonli. Au-delà d’être impropres à la consommation, ces produits aviaires importés, insiste-t-il, engendrent la chute de la production locale et bien plus la perte du patrimoine génétique national du poulet local. « Les poussins importés qui sont utilisés comme souches d’amélioration contribuent à la disparition du patrimoine génétique des races locales utilisées dans certains rites », précise M. Yonli. C’est d’ailleurs pourquoi, note-t-il, des actions sont menées par les services de contrôle vétérinaires, appuyés par ceux des douanes, de la gendarmerie et de la police, pour contrer l’entrée frauduleuse de la volaille et ses produits dérivés sur le territoire national. Cela, conformément à l’arrêté n° 2015-03/MRA/MICA/MEF du 2 février 2015 portant interdiction provisoire d’importation, de distribution et de commercialisation de la volaille, de produits aviaires et leurs dérivés en provenance des pays infectés par la grippe aviaire. De nombreuses saisies sont ainsi opérées et incinérées publiquement.

4 735 « carcasses » de poulets saisies

A titre d’exemple, dans la province du Zoundwéogo, affirme-t-il, 4 735 «carcasses » de poulets, 86 950 œufs et 900 kg de gésiers ont été saisis sur l’axe Nobéré-Pô dans le Nahouri. Et d’ajouter que le 9 juin 2022, 1 010 poulets surgelés et 88 950 œufs de consommation d’un coût global estimé à plus de 8 900 000 F CFA ont été saisis et incinérés. Selon le chef de poste du service vétérinaire de Dakola, Abdoul Malick Nama, 3 660 poulets congelés ont été saisis au cours de l’année 2021, pour une valeur estimative de 11 millions FCFA. Pour 2022, déjà, poursuit-il, ce sont plus de 1 210 poulets congelés d’une valeur de près de 4 millions FCFA qui ont été saisis et détruits. « Et cela ne représente que 1/10e de ce qui entre sur le territoire national », souligne M. Nama. Ce commerce illicite, soutient M. Nama, est très développé dans cette zone frontalière du Ghana, la complicité de la population locale aidant. Par voie de conséquence, il regrette qu’en dépit de la bonne volonté des acteurs à l’endiguer, le fléau continue d’avoir pignon sur rue. Il justifie cette situation par la témérité des contrebandiers qui, à l’écouter, sont prêts à tout, au risque de leur vie, pour gagner leur pain. « Ce sont des individus qui roulent à tombeau ouvert et il est souvent risqué de les poursuivre », affirme le chef de bureau des douanes de Dakola, l’inspecteur Brahima Sama. Il indexe, pour sa part, la porosité des frontières comme étant l’une des raisons explicatives de l’importance du trafic de volaille dans la région. « C’est la proximité avec la frontière ghanéenne, en plus de la recherche de gain facile qui expliquent la récurrence de cette pratique frauduleuse », estime l’inspecteur divisionnaire Sama. Son collègue de la brigade mobile de Manga, l’inspecteur Issa Compaoré, ajoute que la complicité de la population et l’insuffisance des moyens de lutte rendent assez complexe la traque des fraudeurs.

Qu’à cela ne tienne, ses services ont pu mettre la main sur cinq véhicules contenant 5 316 poulets avec une valeur marchande de près de deux millions FCFA, en 2021. « Certains véhicules saisis sont toujours stationnés ici, dans la cour de la brigade. C’est par incivisme particulièrement, que ces individus procèdent à cette pratique frauduleuse », fait-il observer. Face aux préjudices de cette activité sur les éleveurs locaux, M. Compaoré exhorte à la prise diligente de mesures supplémentaires pour y faire face. Et d’insister que la sensibilisation des populations sur les effets néfastes de ces produits, le durcissement des sanctions, l’accentuation des contrôles sur les différents axes peuvent être inscrits dans cette dynamique. C’est du reste, ce que pense le directeur régional des ressources animales et halieutiques du Centre-Sud, Dr Jean Simporé.

Une résilience impactée

Il admet que l’importation des produits de volaille est une réelle menace pour la filière avec des effets néfastes sur la résilience des producteurs locaux. En effet, il reste persuadé que si par le fait de cette activité illicite, les éleveurs locaux ne parviennent pas à rentabiliser, ils demeureront des éleveurs locaux de façade. Et condamnés, ipso facto, à disparaitre, avertit-il. C’est pourquoi, Dr Simporé appelle à mieux protéger l’aviculture à travers des mesures de sauvegarde efficaces de l’espace national.

« L’élevage de la volaille est la caisse d’épargne de proximité de nombreux paysans. C’est pourquoi, lorsque les producteurs viennent à perdre leurs revenus du fait des produits aviaires importés, ils deviennent vulnérables à tout point de vue », prévient-il. Pourtant, regrette-t-il, des textes interdisant cette pratique frauduleuse existent mais, peinent à être appliqués. Face à cette situation, Dr Jean Simporé suggère la sensibilisation de la population aux différents impacts négatifs de l’importation de la volaille et des produits aviaires sur le dynamisme de l’aviculture dans la région. A cet effet, dit-il, une rencontre de concertation régionale avait été prévue à l’endroit des acteurs. Mais l’initiative, se désole le directeur régional, n’a pas été exécutée, faute de moyens financiers. « Il s’agissait pour nous d’échanger avec la population sur l’importation des poulets congelés et des produits de volaille qui inondent les marchés du pays, afin de protéger notre aviculture nationale et la santé des consommateurs », indique-t-il. Par ailleurs, note Dr Simporé, dans cette lutte, les acteurs de la filière volaille, eux, gagneraient à mieux organiser leur secteur de sorte à produire massivement pour faire face à la concurrence.

Soumaïla BONKOUNGOU

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